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Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé
Depuis plus de 20 ans, la fédération 31 de la Ligue de l’enseignement (Haute Garonne) est mandatée par le Conseil Départemental pour proposer des activités sociales et culturelles à des publics en difficulté, tout au long de l’année. Découverte de la ville, séances de cinéma, visite de lieux culturels, ateliers d’écriture… Le dispositif « À faire, à suivre » propose une multitude d’activités pour s’épanouir, reprendre confiance et créer des liens. Rencontre avec Yasmina Nathalie, animatrice d’AFAS.
Bonjour Yasmina et merci de nous recevoir dans les locaux de la fédération 31 de la Ligue de l’enseignement. Peux-tu commencer par décrire le dispositif AFAS et sa raison d’être ?
À faire, à suivre est une action d’insertion portée par la fédération 31 de la Ligue, financée par le Conseil Départemental. Il y a plus de vingt ans, quand le RMI a été mis en place, le Conseil Départemental a cherché des acteurs pour faire vivre le « I » d’Insertion. Les opérateurs retenus travaillent depuis sur cinq axes différents : la santé et l’accès aux soins, la mobilité, l’insertion professionnelle et l’accès à l’emploi, le soutien aux acteurs de l’économie sociale et solidaire, et un dernier axe qui s’appelle « accès à la vie sociale et la citoyenneté », qui s’appuie sur la pratique de loisirs pour favoriser le lien social, lutter contre l’isolement, et permettre aux personnes de découvrir leur environnement.
C’est dans cette cinquième branche que se positionne le dispositif AFAS ?
Précisément. Notre mission, c’est d’informer, d’orienter et d’accompagner les personnes dans la pratique de loisirs, dans une perspective d’insertion sociale. Ça veut dire qu’a priori, on ne s’intéresse pas à la question de l’emploi. Ce qui nous importe, c’est que les personnes soient dans une dynamique positive : qu’elles regagnent confiance en elles, qu’elles se fassent plaisir, qu’elles retrouvent le goût du lien social. À cet égard, les pratiques culturelles sont intéressantes. Parce qu’elles éveillent des sensations agréables, évidemment (aller au cinéma ou participer à un atelier, c’est plutôt sympa) ; mais aussi parce qu’elles permettent de rencontrer des gens et de découvrir la ville. Aujourd’hui, tout dans la société tend à faire croire qu’on n’existe que par sa profession. On rappelle donc aux personnes qu’elles se construisent aussi par leurs pratiques culturelles.
Quel est le public d’AFAS ?
Initialement, le Conseil Départemental ne finançait le dispositif qu’à destination des personnes bénéficiaires du RMI - l’actuel RSA. Aujourd’hui, nous travaillons avec toutes les personnes en difficulté : celles qui ont peu voire pas de ressources, qui sont dans l’isolement ou en souffrance psychique… La plupart du temps, elles nous sont orientées par des travailleurs sociaux qui agissent à Toulouse et dans la grande couronne. Dans l’ensemble, ce sont des personnes qui souffrent d’une dévalorisation d’elles-mêmes : je ne peux rien, je ne sers à rien… Alors, il faut faire en sorte qu'elles retrouvent l’estime d’elles-mêmes et la confiance en autrui.
Le pari que l’on fait, c’est que pour pouvoir à nouveau se projeter et rencontrer autrui, il faut d’abord se rencontrer soi-même. Et c’est pour ça que les pratiques culturelles sont intéressantes.
“Pour pouvoir à nouveau se projeter et rencontrer autrui, il faut d’abord se rencontrer soi-même”
Quel genre de pratiques culturelles proposez-vous ?
Tout d’abord, on propose régulièrement des sorties culturelles collectives, à l’issue desquelles les personnes peuvent se retrouver et échanger : j’ai aimé, je n’ai pas aimé… Ces interactions permettent de reprendre goût au lien social. En partageant son avis, on apprend à assumer son point de vue, à en débattre. Donc un lien se crée. On diffuse également le calendrier de l’actualité culturelle gratuite de Toulouse. On oriente les personnes qui sont à la recherche d’une activité ou d’une pratique culturelle spécifique : si quelqu’un émet le souhait de faire du théâtre, on l’informera sur ses différentes possibilités, en tenant compte de ses contraintes budgétaires ou géographiques. Et enfin, on propose un atelier d’écriture hebdomadaire, dans les locaux de la Ligue de l’enseignement.
On peut voir toutes ces activités comme un collier de perles dont le fil serait une succession d’entretiens individuels avec les personnes. Le but, c’est vraiment d’articuler l’individuel et le collectif : il faut du collectif pour que les personnes se socialisent ; mais il faut conserver de l’individuel pour qu’elles puissent s’exprimer comme elles sont, avec leurs difficultés, leurs limites… Selon les situations, il nous arrive d’orienter vers d’autres professionnels référents. C’est grâce à ce suivi précis que l’AFAS reste en cohérence dans l’accompagnement de la personne : l’ensemble des professionnels l’entoure et l’accompagne vers sa propre autonomie.
Quel est l’objectif commun de cette palette d’activités ?
L’objectif principal, c’est que les participants se sentent bien ! L’insertion, c’est une conséquence. C’est parce que les personnes retrouvent de l’énergie, de la confiance, du plaisir de sortir de chez eux ; qu’elles peuvent ensuite aller plus loin.
AFAS est un super outil, car il est très plastique. En fonction des difficultés rencontrées par les personnes, on va plutôt axer sur tel ou tel aspect. C’est un accompagnement qui est tout en finesse, tout en dentelle : la personne qui ne connaît pas la ville va apprendre à mieux se repérer, celle qui est très isolée va rencontrer des gens ; et celle qui a complètement perdu confiance en ses possibilités va se rendre compte qu’elle n’est pas vide grâce aux échanges et aux ateliers. L’essentiel, c’est qu’elles s’inscrivent dans une dynamique.
On est sur de l’accès à la culture pour tous ; et dans ce sens, on rejoint les valeurs et les objectifs fondamentaux de la Ligue de l’enseignement. Et en même temps, on favorise le lien social et l’accès au droit commun pour chacun. À travers ça, c’est la question de la citoyenneté qui se travaille.
Comment redonner confiance aux personnes qui n’ont plus aucune estime d’elles-mêmes ?
Ce qui est important pour moi, c’est d’abord que les personnes s’approprient l’espace de la ville. Un territoire, c’est un endroit où l’on habite, pas seulement où l’on vit. Or pour s’approprier réellement l’espace, il faut commencer par le connaître. Donc on fait régulièrement des balades en ville, pour leur donner des repères visuels, historiques, esthétiques. J’ai une anecdote : place du Capitole, sous les arcades, il y a une galerie. Quand on lève la tête, on peut voir une série de dessins de Raymond Moretti qui racontent l’histoire de Toulouse. Et à un moment donné, ce sont des miroirs qui sont posés en haut : donc quand on lève la tête, on se voit dedans. Pour Moretti, c’est une façon de dire : qui que vous soyez, vous êtes dans l’histoire de Toulouse maintenant. Et ça, j’adore !
“Un territoire, c’est un endroit où l’on habite, pas seulement où l’on vit”
D’une façon générale, nous sommes ravies de les emmener dans des lieux très marqués culturellement. Par exemple, nous avons le théâtre du Capitole, qui est l’institution de l’opéra à Toulouse, devant lequel les gens passent tout le temps puisque c’est dans l’hyper centre ; mais dans lequel ils ne se sentent pas forcément légitimes d’entrer. Quand on le visite ensemble, ils se rendent compte qu’ils y sont tout à fait les bienvenus. Ça aussi, ça participe de la prise de confiance en soi.
Quel rôle joue l’atelier d’écriture dans cette prise de confiance ?
L’idée de l’atelier d’écriture, ce n’est pas d’apprendre à écrire un roman ou de devenir écrivain. C’est d’utiliser la langue écrite pour aller voir en soi ce que l’on porte. L’atelier se déroule toujours de la même manière : une proposition d’exercice littéraire, un temps d’écriture, un temps de lecture. On va manipuler la langue, s’appuyer sur nos cinq sens, et faire travailler l’imaginaire.
Leur progression se perçoit dans la précision de leur écriture. L’imaginaire, c’est comme un muscle : plus on le travaille, plus ça vient. Au début, ils écrivent souvent des choses assez plates, évidentes. Et au fur et à mesure, ça s’affine. Les personnes vont de plus en plus loin et elles écrivent des textes très différents les unes des autres. On se rend alors compte qu’on croyait penser la même chose que tout le monde, mais pas du tout ! C’est dans cette diversité que la richesse intervient, et la confiance en soi revient. Grâce à l’écriture et la lecture, les participants réalisent que leur parole est une parole. Qu’elle est unique, et qu’elle est la leur.
Le but de cet atelier, c’est vraiment d’accompagner les personnes dans leur propre rencontre, et ensuite de créer un espace de socialisation par la lecture.
Qu’est-ce qui est propre à l’esprit de la Ligue de l’enseignement dans l’accompagnement proposé par AFAS ?
Je dirais qu’il y a une attention particulière à la fragilité des personnes. Qu’il n’y a pas d’obligation de résultat. Et que la question de l’accès à la culture pour tous est chevillée à cette action. Il faut bien voir que les personnes avec qui on travaille sont parfois à mille lieues de la vie sociale. Et on contribue à les y raccrocher, mais avec la délicatesse nécessaire.
Je n’ai jamais employé le mot « citoyenneté » avec les participants, mais il est évident qu’affirmer un point de vue, c’est commencer à être citoyen. Et je crois que si les fédérations d’éducation populaire ont un rôle, c’est bien celui-ci : faire en sorte que chacun puisse prendre place dans la cité.
Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé