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Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Agathe Roger
À Montpellier, l'école de la deuxième chance accompagne tous les ans 130 stagiaires de 16 à 30 ans pour leur remettre le pied à l'étrier, en leur proposant un accompagnement unique dans l'insertion professionnelle. En 8 à 10 mois, ces jeunes, pour la plupart sortis du système scolaire sans qualification ni diplôme, décrocheurs, réfugiés; et jusqu'alors "invisibles", (ré)intègrent un parcours classique. 67% d'entre eux obtiennent un emploi ou une inscription dans une formation qualifiante. Récit d'une après-midi dans les locaux de l'école de la deuxième chance de Montpellier.
Novembre 2021. Nous passons la journée à Montpellier pour rédiger des articles sur la laïcité dans la fédération de l'Hérault. La matinée est consacrée à la rencontre de Michel Miaille, président de la fédération 34 (lire son portrait ici). Michel nous parle longuement des formations qu'il donne sur tout le territoire sur la laïcité. Mais qu'en est-il sur le terrain ? Comment les publics comprennent-ils et vivent-ils la laïcité ? Nous sommes curieux de rencontrer les premiers concernés pour leur poser la question. Les locaux de l'école de la deuxième chance sont à 10 minutes à pied de la fédération. Stéphanie Sanchez, directrice de l'école, nous accueille sur place. Puisque les stagiaires sont les mieux placés pour nous présenter le lieu, Stéphanie nous invite à déambuler dans les salles et les couloirs, à leur rencontre. Ce sont Mohamed, Chaïma, Amira, Fatima et Daniel qui prendront le temps de discuter avec notre équipe au fil de notre visite.
« Ici, on apprend bien »
Nous toquons à la porte et interrompons une partie de ping-pong improvisée sur les tables de cours. C'est l'heure du cours de sport. Au fond de la classe, un groupe de stagiaires discute autour d'une table. Quatre d'entre eux nous proposent de nous installer. Nous n'avons pas à poser de question, la conversation démarre d'elle même.
« L'E2C a le nom d'une école, mais ça n'en est pas une » commence Daniel. « C'est une formation de développement professionnel ». Chaïma complète : « On a cours de 8h30 à 16h30 avec une heure de pause. Mais après, il faut faire des stages régulièrement : 2 semaines pour les nouveaux, et 3 semaines pour les anciens ». Elle raconte : « Mardi dernier, je suis partie pour chercher un stage à Carrefour. Ils m'ont dit qu'ils pouvaient me mettre en CDD. Je commence lundi, c'est un CDD de deux semaines. S'ils m'arrêtent, je peux revenir ici. Sinon, je peux continuer à bosser là-bas ».
On touche à la première particularité de l'E2C : l'école ne propose pas une durée unique de formation à ses stagiaires. L'établissement, en "entrée et sortie permanente", accueille de nouveaux stagiaires toutes les semaines, alors que d'autres la quittent. Il n'y a aucune durée imposée de formation, mais ils restent en moyenne 7 à 8 mois. Ils peuvent sortir de l'école lorsqu'ils ont identifié une autre formation qui les intéresse, ou si une opportunité d'emploi se présente à eux.
Au premier abord, l'emploi du temps décrit par Chaïma a l'air assez classique. Le français, les maths, l'informatique et le sport font partie des matières au programme. Nous lui demandons en quoi l'E2C est différente d'un lycée général ou professionnel. La réponse est immédiate, et le ton est donné : « ici, on apprend bien ».
« On sait pas c'est quoi la laïcité »
Le cours de sport va bientôt reprendre, il est temps pour nous d'aborder le sujet de notre enquête. Maladroitement, nous tentons une première question. « Est ce que dans vos cours de citoyenneté, vous avez fait des trucs autour de la laïcité ?» Les stagiaires hésitent. « On sait pas c'est quoi la laïcité », nous confie Fatima. Voilà une réponse que nous n'avions pas vraiment anticipée. Mais Mohamed dément : « si, on fait des trucs en lien avec la laïcité. La laïcité, c'est le fait de pas montrer ses signes religieux en public. Ici vous allez voir personne avec un voile ou n'importe quel signe religieux qu'on peut voir. Dès que les gens rentrent, ils posent tous leurs objets avec représentation religieuse, et ils le reprennent à la sortie ». Daniel complète, en nous expliquant qu'il ne s'est pas senti forcé de pratiquer une religion ou une autre à l'école.
En venant à l'E2C, on s'attendait à décrire dans notre article une laïcité vécue comme un cadre émancipateur par tous les jeunes. La réalité est plus complexe. Tous ne sont pas familiers avec le concept, et la laïcité est plutôt réduite par Mohamed à une mesure interdiction à l'oeuvre dans l'établissement.
Mais pourquoi chercher à plaquer un sujet préconçu sur une réalité tout autre ? Qu'à cela ne tienne, nous décidons de changer de sujet, et de reprendre notre conversation initiale. Je pose la question qui m'intrigue le plus depuis mon arrivée dans les locaux. Alors que de nouveaux stagiaires intègrent l'école toutes les semaines, avec des niveaux de français très inégaux, comment la cohésion entre eux est-elle assurée ? « Ça se fait automatiquement », nous explique Mohamed. « Moi, ça fait un mois que je suis ici. Je me suis habitué ». Amira, qui parle à peine français, confirme : « depuis le premier jour, je suis à l'aise. J'ai des cours adaptés à mon niveau ».
Il semble régner une vraie confiance entre les stagiaires. Spontanément, Mohamed nous raconte comme il a été choisi pour représenter ses camarades : « On m'a élu délégué. C'est une responsabilité. C'est un tout pour moi, je vais pas vous mentir. Y a beaucoup de choses à prendre en compte dans ce rôle, j'avais jamais fait de choses comme ça ». Chaïma, déléguée d'un autre groupe, nous livre un témoignage similaire.
« On m'a élu délégué. J'avais jamais fait de choses comme ça »
Tous les jours, les jeunes que nous avons rencontrés à l'E2C se retrouvent dans le cadre de leur formation. Ils font preuve d'attention les uns envers les autres en incluant les nouvelles et les nouveaux. Lors des conversations de couloir, comme celles que nous avons eues, ils s'assurent de la compréhension des moins à l'aise en français. Ils travaillent majoritairement dans des projets de groupe où chacun trouve sa place. Si Fatima croit ne pas savoir ce qu'est la laïcité, une chose est sûre : elle la vit au quotidien.
« la laïcité se fédère dans le vivre-ensemble »
La directrice Stéphanie Sanchez et le professeur de culture et citoyenneté Edisson Tieche nous le confirment : le vivre-ensemble est le premier pilier de l'établissement. Dans un univers où gravitent des réfugiés, des décrocheurs scolaires, des jeunes parents, des mineurs comme des majeurs; la bienveillance est de mise. « Cette mixité est la richesse de notre structure », explique Stéphanie. « Les stagiaires savent que des nouveaux rentrent tous les lundis, et ils savent qu'ils ont un rôle d'accueil ».
Pour Edisson, ce sont les projets de groupe permanents qui favorisent cette entraide entre les stagiaires. Entre l'organisation d'un voyage de classe, la réalisation d'une émission de radio ou de travaux dans la cour de l'école, les stagiaires travaillent simultanément sur des projets collectifs qui peuvent durer quelques heures comme quelques semaines. « C'est la proposition pédagogique de l'école qui fait le vivre ensemble », résume le professeur. « Les règles de respect, de tolérance et les règles professionnelles se posent au travers des projets qu'on met en place. Ces travaux collectifs suscitent toujours l'engouement et l'harmonie du groupe ». Edisson met alors les mots sur l'intuition que nous avions eue en discutant avec Fatima : « évidemment, à l'école, on ne fait pas de prosélytisme. Mais la laïcité qu'on transmet, c'est celle du vivre-ensemble. Avec les valeurs de respect, d'écoute et de tolérance qui nous animent dans tous nos projets, on travaille tout le temps le vivre-ensemble en filigrane ».
« C'est la proposition pédagogique de l'école qui fait le vivre ensemble »
Il arrive également que la laïcité fasse l'objet explicite d'un projet de groupe ou d'un cours. « Ça fait bien sûr partie du programme d'Edisson en cours de culture et citoyenneté. Il a notamment animé des temps d'échange autour de la laïcité avec les stagiaires. On a régulièrement des jeunes des en service civique à la Ligue qui viennent en parler ici. On reçoit des conférences sur le sujet » énumère Stéphanie. Mais comme nous l'avons vu avec les jeunes rencontrés, tous ne participent pas à ces projets, selon leur date d'arrivée et leur niveau de compréhension en français. « 85% de nos stagiaires sont FLE » (Français Langue Étrangère, ndlr) poursuit Stéphanie. « Pour beaucoup, les termes de laïcité ou de vivre-ensemble ne parlent pas. Mais les valeurs sont vécues à travers les projets, et véhiculées au quotidien ».
Pressées par le temps, nous devons déjà quitter l'école, quelques heures seulement après notre arrivée. À contre-coeur, nous laissons derrière nous le cocon de l'E2C, où la journée suit son cours. Dans son bureau, Stéphanie rédige l'édito du journal semestriel de l'école qui sortira en janvier. Un cours d'arts plastiques commence pour l'un des quatre groupes. Dans la salle d'à côté, Edisson commence un cours de citoyenneté : ses stagiaires préparent le voyage voies & voix des migrants, qui commencera dans quelques jours. Et partout dans l'école, sans pour autant être nommée, la laïcité règne.
Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Agathe Roger