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Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé
Voilà des années que la fédération 21 de la Ligue de l’enseignement (Côte d’Or) lutte activement contre les discriminations. Ateliers de sensibilisation, cellules d’écoute, formations… Le « pôle discriminations » multiplie les dispositifs et les formats pédagogiques pour aborder ces sujets avec le plus grand nombre. Un travail rendu possible grâce aux multiples partenariats tissés avec les associations, les écoles et les municipalités locales. Reportage.
Jeudi 14 novembre, 9h. Une longue journée commence pour l’équipe de la fédération 21 de la Ligue de l’enseignement. Dans ses locaux commence une formation de deux jours intitulée « Prise en charge des publics LGBT + dans l’affirmation de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre » donnée par Baptiste, pendant que sa collègue Julie animera un atelier de sensibilisation dans un collège à une trentaine de kilomètres de Dijon.
De la sensibilisation à la formation
Le fait que la Ligue de l’enseignement s’attaque aux discriminations en tout genre n’a rien de nouveau. « C’est une thématique qui est portée intrinsèquement par la Ligue parce que c’est dans notre ADN » explique Marion, déléguée générale de la Ligue de l’enseignement 21, avant de préciser : « mais elle est développée différemment sur chaque territoire ». En Côte d’Or, les modules de sensibilisation en milieu scolaire sont presque aussi vieux que la fédération elle-même.
C’est à partir de 2004 que le pôle discrimination se structure autour de nouvelles activités. Bruno, président de la fédération, revient sur ce cheminement : « en 2009, on crée une plateforme de lutte contre les discriminations, qui réunit toute une série d’associations : la Licra, la Ligue des droits de l’homme, le MRAP, SOS Racisme…» À cette même période, « la mairie de Dijon propose à la fédération de signer une convention pour porter l’Amacod, une antenne municipale et associative de lutte contre les discriminations ». Cette cellule d’écoute, unique en France, permet à toute personne s’estimant victime de discrimination de prendre un rendez-vous physique avec une salariée de la Ligue de l’enseignement. Véritable accueil de proximité, le dispositif consiste à recueillir la parole de la personne pour proposer une médiation ou réorienter vers les structures adéquates.
Au fil des rencontres effectuées via l’Amacod, la compréhension des besoins de terrain s’affine. « On s’est vite rendu compte que les gens ne savaient pas ce qu’est une discrimination », raconte Marion. Le gouffre est bien vite comblé par le pôle discriminations, qui crée alors des parcours de formations destinés aux professionnels en lien direct avec le public. « Je suis travailleur social, je suis en charge de l’accueil dans une structure : comment faire pour ne pas discriminer ? » illustre Marion.
« On s’est vite rendu compte que les gens ne savaient pas ce qu’est une discrimination »
Avec le temps, la liste des formations proposées par la fédération ne fait que s’allonger, à partir des besoins recensés sur le terrain et des expertises acquises par les salariés. « On a commencé sur les discriminations au sens large, puis on s’est vite positionnés pour faire partie du plan Valeurs de la République et Laïcité », détaille Marion. Ces derniers temps, ce sont les engagements militants des salariés qui ont poussé la fédération à créer des parcours autour des questions LGBT, d’égalité Femme / Homme et de violences sexistes et sexuelles. Avec des demandes toujours plus nombreuses de la part des municipalités, associations et écoles autour de Dijon.
Sujets militants, méthodes objectives
La formation donnée ce jour-là au siège est l’une des dernières-nées de la fédération. Elle rassemble une quinzaine de personnes travaillant dans le milieu associatif, en contact avec des jeunes de façon quotidienne. Les sujets d’orientation sexuelle et d’identité de genre des publics accueillis font désormais partie de leur quotidien et génèrent des situations jusqu’ici inconnues - d’où la nécessité de se former pour mieux les appréhender.
« Aujourd’hui, on va parler de sémantique », entame Baptiste. « On va mettre des mots sur les choses et acquérir un langage commun. L’objectif, c’est de vous aider à adapter votre posture professionnelle pour être le plus inclusif et le moins discriminant possible envers les personnes LGBT ». Les participants n’en demandent pas moins. En un tour de table, chacun détaille sa situation professionnelle et partage ses attentes pour les deux jours à venir.
Manon, formatrice dans une école de la deuxième chance, s’interroge sur la façon d’aborder ces questions en collectif. Au sein d’une même classe, des jeunes très sensibilisés sont souvent mêlés à d’autres beaucoup plus éloignés de la communauté LGBT +. « Comment arriver à gérer les jeunes qui ne comprennent pas du tout les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle à côté de ceux qui sont entièrement concernés ? » s’interroge Manon, qui avoue ressentir « un peu de pression » à chaque fois qu’elle aborde ces sujets en groupe. « J’ai quelques outils, mais parfois, on sent qu’on est sur un fil ». Maurane, salariée chez Uniscité, coordonne une quinzaine de jeunes en service civique sur des missions liées au cinéma et à la citoyenneté. Elle cherche à les outiller pour aborder ces sujets avec les enfants et les pré-adolescents : « c’est une demande qui nous est de plus en plus faite, pour les ciné-débats qui abordent les thèmes de la transidentité, de la communauté LGBTQIA+, etc ». Morgane, formatrice au réseau Canopée, est démunie face « aux enseignants qui viennent (la) trouver parce qu’il y a beaucoup d’homophobie et de transphobie dans leur classe, et ils ne savent pas comment réagir ».
« J’ai quelques outils, mais parfois, on sent qu’on est sur un fil »
Pour répondre à ces besoins variés, la formation est conçue en deux grandes parties. Dans un premier temps théorique, les participants vont découvrir le sujet grâce à un glossaire, prendre un recul sur l’histoire des luttes LGBT, et appréhender le sujet d’un point de vue juridique. Il s’agit alors de leur fournir des outils concrets et objectifs pour les accompagner dans l’accueil de tous les publics. « Méthode d’éduc’ pop’ oblige, on va utiliser un jeu construit par la Ligue 21 », rassure Baptiste. Il sort un jeu de cartes : « sur chaque carte, il y a un fait historique autour de la communauté LGBT. J’en donne plusieurs à chaque binôme, vous devez les placer pour reconstituer une frise chronologique ». Émeutes de Stonewall, dernière condamnation à mort pour homosexualité, première adoption par des personnes LGBT… Les participants découvrent l’histoire d’une communauté marquée par le rejet et la discrimination.
Dans un second temps plus pratique, les professionnels travailleront sur des études de cas et partageront leurs expériences respectives. Chacun pourra alors revenir sur une situation difficile rencontrée au travail : comment réagir face à des insultes homophobes au sein d’un groupe ? Quelle posture adopter lorsqu’un jeune fait son coming-out trans ? « On va aussi visionner des vidéos de témoignages, pour laisser la parole aux principaux concernés », précise Baptiste.
Sur toutes les formations qu’ils proposent, les salariés de la Ligue jonglent entre une posture engagée et des méthodes objectives. « On est très militants sur ces thématiques, à la fédération », assume Baptiste. « On va apporter des choses qui sont de l’ordre du droit, de l’histoire, de la science médicale. D’autres sont des postures plus idéologiques ».
« On est très militants sur ces thématiques »
Régulièrement, la fédération fait l’objet d’attaques médiatiques ou politiques pour ses prises de positions en faveur de l’égalité et l’inclusion de tous et toutes. Ces événements consolident d’autant plus la posture militante de la fédération, comme le souligne sa déléguée générale Marion : « ça ne fait que renforcer notre hargne d’y aller encore plus fort ».
Diversité des publics et thématiques
À quelques kilomètres de là, Julie propose un atelier d’un tout autre style aux élèves du collège Jacques Mercusot (Sombernon). Dans une classe de 4ème, elle a trois heures devant elle pour aborder en groupe la connaissance de soi et la prévention des violences ; deux sujets qu’elle lie tout naturellement. « Plus on se connait soi-même, plus on arrive à connaître les autres, car on développe des compétences psychosociales », démontre-t-elle face à la classe. « On arrive mieux à interagir dans un groupe, et à prévenir la violence ou les conflits. C’est une suite logique ».
Les collégiens commencent par choisir des cartes qui suscitent la discussion sur les différents types de violence : physiques, verbales, sexuelles, conjugales, psychologiques, numériques… Ils sont ensuite invités à faire un travail d’introspection pour comprendre leurs besoins et leurs insécurités. Qu’est-ce que j’aime faire ? Pourquoi ? Comment ai-je réagi la dernière fois que j’étais en colère ? Autant de questions qui aident à mieux comprendre et maîtriser ses propres réactions. « C’est traiter le sujet de la lutte contre les discriminations, mais en amont », explique Julie, « en parlant d’empathie, d’acceptation de la différence, de tolérance ».
Les collégiens, particulièrement sensibles aux questions de harcèlement, apprécient ces interventions dans leur établissement. « C’est pour nous faire prendre conscience que la violence, c’est dangereux. Que ça peut tuer des gens », estime Angéline. Dans le cadre du collège, « ça peut nous aider à stopper le harcèlement », renchérit Eliot. Mais pas uniquement, les jeunes en sont conscients. « Notre vie, elle se résume pas juste au collège », rappelle Maël. « C’est en dehors aussi. Donc c’est bien qu’on soit sensibilisés à toutes les formes de violences, ça peut nous servir ».
Selon Julie, c’est précisément pour ces raisons que ce travail d’introspection et de sensibilisation devrait être effectué partout, et surtout dès le plus jeune âge. C’est en tout cas le parti-pris du pôle discrimination qui propose des ateliers dès 5 ans, à l’école. « Avec les maternelles, je fais souvent un tableau de communication non violente, où ils peuvent dessiner des situations qui les ont frustrés », raconte celle qui s’inspire des pays d’Europe du Nord pour transmettre les compétences psychosociales aux enfants qu’elle encadre.
Un travail collectif
Alors que la demande de parcours de sensibilisation et formation explose sur le territoire, les trois salariés du pôle discriminations de la Ligue sont de plus en plus mobilisés. L’heure est désormais à l’essaimage : en profitant du maillage territorial propre à la Ligue de l’enseignement, l’équipe a récemment « formé les collègues de la région pour qu’ils puissent à leur tour déployer ces formations », se réjouit Marion.
Marion et Bruno le maintiennent : c’est le travail partenarial de longue haleine de la fédération qui rend possible un tel rayonnement de ses dispositifs. En premier lieu avec la ville de Dijon puisque l’Amacod, pierre angulaire de toute l’activité du pôle, repose sur un alliage unique entre la Ligue et la municipalité. Deuxièmement, avec une multitude d’associations et institutions spécialisées qui prennent le relai de la cellule d’écoute. « Lorsque la ville a souhaité s’investir politiquement sur le sujet, en 2009 », rappelle Marion, « ils sont venus nous chercher parce que notre plateforme fédérait des acteurs plus spécialisés que nous. On a développé un réseau autour de nous. Lorsqu’on reçoit quelqu’un qui a une problématique particulière, charge à nous d’aller trouver le bon interlocuteur en face ».
La fédération est prête à continuer ce travail dans les structures du département qui lui feront appel. Après plus de dix ans d’expérience, ses mots d’ordre restent les mêmes : travailler en collectif, lier le travail de terrain à la formation, et garder la lutte contre les discriminations en ligne de mire.
Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé