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Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé
En Indre-et-Loire, l’association départementale du Planning Familial est régulièrement sollicitée par des structures médicales, sociales ou éducatives pour organiser des événements de sensibilisation ou de prévention. En cette rentrée scolaire 2022, c’est le Centre de Formation pour Adultes du Campus des Métiers (Joué les Tours) qui a fait appel aux services de l’association pour tenir un stand dans le hall, pendant la pause-déjeuner des étudiants. Nous avons assisté à cette manifestation pour en apprendre plus sur le Planning Familial.
Il est 12h30 et les élèves sont sur le point de sortir de cours pour aller déjeuner. Dans le hall du CFA, le stand du Planning Familial est prêt : les brochures sont disposées sur la table, les jeux sont installés et tous les sujets sont inscrits sur la roue de la prévention. Une salariée et trois bénévoles sont présentes pour assurer cette permanence : Marielle, Manon, Isabelle et Our. Lorsque les classes envahissent les couloirs et se dirigent vers la sortie, certains étudiants passent devant cette drôle d’installation sans ciller, tandis que d’autres manifestent leur curiosité et s’arrêtent quelques minutes.
Une association féministe d’éducation populaire
La première d’entre elles est déjà sensibilisée aux sujets traités par le Planning Familial. “Je me renseigne beaucoup sur les réseaux sociaux, je suis des comptes qui parlent de ce genre de sujets, du coup je connais un peu”, annonce-t-elle en découvrant les brochures. Elle plaisante : “si on me met devant ça, je peux rester là toute la journée !” Manon et Our lui proposent alors de jouer au tabou revisité : il s’agit de faire deviner un mot sans utiliser une liste de termes précisée sur la carte piochée. L’étudiante tire une carte et se lance : “ce n’est pas forcément biologique”. Manon rétorque du tac au tac : “Le genre !” Bonne réponse. Le jeu continue avec les différentes catégories des cartes : orientation d’identité, anatomie, plaisir et sentiments, pratiques sexuelles, prévention et protection. “J’adore ce jeu” sourit Manon en rangeant les cartes.
À l’autre bout de la table, Marielle fait tourner la roue de la prévention et tombe sur la case “règles”. L’occasion de poser quelques questions à cette étudiante pour amorcer un échange sur le sujet : “est-ce que tu connais les symptômes de l’endométriose ?” Pendant quelques minutes, les deux femmes discutent de cette maladie gynécologique qui rend les règles particulièrement douloureuses. Avant de s’absenter pour déjeuner, l’étudiante remercie les bénévoles. Elle est persuadée de l’importance d’ouvrir ces thématiques à tous et toutes : “il faudrait tellement que plus de gens s’intéressent à ça !” s’exclame-t-elle, en leur promettant de parler du stand à ses camarades.
Nous rejoignons désormais Isabelle, qui a fait la connaissance de deux jeunes étudiants. Elle s’est munie d’une représentation de clitoris en taille réelle et leur demande s’ils savent de quel organe il s’agit. “Il faut replonger dans mes cours de SVT d’il y a 15 ans…” hésite l’un d’entre eux. “Je vous rassure, ça, c’est dans les manuels de SVT que depuis 2017” glisse-t-elle. “Donc c’est sûr que vous ne l’avez pas appris à l’école”. Elle leur en dit plus : le clitoris est un organe féminin qui fait près de 18 centimètres, qui compte des milliers de terminaisons nerveuses, et qui est le seul du corps humain à être dédié uniquement au plaisir. Pourtant, beaucoup ne connaissent pas son existence. “Moi, souvent, la première chose que je fais au Planning, c’est de montrer que ça existe”, leur dit-elle. “Parce qu’il y a plein de femmes, plein de jeunes qui ne le savent pas”.
Le tabou, la roue de la prévention, le clitoris imprimé en 3D sont autant d’outils d’éducation populaire utilisés par le Planning Familial lors de leurs interventions. Ils permettent de faciliter la compréhension et de désamorcer la gêne qui peut exister autour de ces sujets. “Ce qui nous définit depuis toujours”, énonce Marielle “c’est l’éducation pour tous et par tous”. Une maxime d’émancipation, qui fait écho à la philosophie de la Ligue de l’enseignement. “On part du principe que tout le monde peut faire des choix lorsqu’ils ont des informations éclairées”, continue-t-elle. “On explique nos sujets de façon adaptée aux personnes en face de nous, on leur amène de la réflexion. Mais les personnes restent libres”.
“Ce qui nous définit depuis toujours, c’est l’éducation pour tous et par tous”
Cet esprit d’éducation populaire est mis au service des valeurs féministes prônées par l’association. “On est une association féministe”, insiste Marielle. “Ça peut prendre plein de formes, mais c’est promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes”. Les outils de sensibilisation et de formation dispensées par le Planning Familial aident à comprendre les racines des différentes oppressions et violences qui gangrènent la société, pour mieux les combattre.
Dans son bureau, Marielle nous présentera de nombreux autres outils utilisés lors des interventions du Planning d’Indre et Loire. L’un d’entre eux, appelé L’île des émotions, est un grand tissu représentant le cerveau entouré de deux îles désertes, sur lesquelles les participants peuvent coller des mots piochés sur le côté comme “colère”, “tristesse”, “pleurer” ou “taper”.
Ce format ludique permet de différencier les émotions des réactions, pour apprendre à accueillir les premières et contrôler les secondes grâce “au super pouvoir” du cerveau. “C’est un jeu qui marche très bien auprès des enfants, des parents, ou du public en situation de handicap”, indique Marielle en nous présentant le prototype. C’est elle qui a pensé l’outil, qui a ensuite été conçu et fabriqué par les salariées et stagiaires de l’association.
Une prévention positive et efficace
Au CFA, un quart d’heure plus calme laisse du répit aux bénévoles. Elles discutent ensemble des thématiques abordées par les jeunes lors des dernières séances collectives qu’elles ont animées. Chacune de ces sessions commence par une présentation du Planning Familial, pour montrer aux participants l’étendue des sujets qui peuvent être traités. “Le Planning est très identifié sur le côté safe, militant, sexualité…” relate Marielle. “Les jeunes viennent souvent nous poser des questions sur les orientations LGBT ou les pratiques sexuelles : on a vu ça sur Youtube, ça sur un site porno, est-ce que c’est normal, est-ce qu’on peut le faire aussi ?”
Manon, de son côté, a supervisé plusieurs séances avec des collégiens ces derniers temps. Elle s’étonne : “en 6ème, à chaque fois, les groupes de garçons étaient super intéressés par la grossesse, les règles… Je m’attendais pas forcément à parler de ça avec eux !” Quant à elle, Isabelle note que d’une manière plus générale, les jeunes sont très demandeurs d’échanges sur la question des violences : “en ce qui me concerne, c’est le sujet qu’ils choisissent à chaque fois”, rapporte-t-elle.
“Le Planning est très identifié sur le côté safe, militant, sexualité”
Les différents thèmes cités par Marielle, Manon et Isabelle évoquent la variété des sujets d’intervention du Planning Familial. Les émotions, le harcèlement, l’identité de genre, la santé sexuelle, le consentement ou encore les discriminations rentrent dans les champs des deux thématiques phares de l’association : les sexualités et les violences.
Pour le Planning Familial, les deux sujets sont très liés et gagnent à être traités conjointement, comme l’explique Marielle : “quand on travaille l’un, on fait de la prévention sur l’autre”. Selon elle, l’éducation à la vie sexuelle est habituellement effectuée de façon négative et passe à côté des messages principaux à transmettre. “On leur parle de reproduction ou de risques de grossesse et d’IST, de dangers, de viols, de protection… que des dangers de la sexualité !” constate-t-elle. Elle poursuit, amusée : “y a comme un petit truc dont on parle pas, quand même. Et ce truc, c’est le plaisir”.
“Quand on travaille l’un, on fait de la prévention sur l’autre”
Et pourtant, le plaisir, “c’est la base du consentement”, assène Marielle. “Donc si on veut faire de la prévention efficace, il faut l’axer sur une sexualité positive : parler très tôt de ce qui est agréable, pas agréable, savoir reconnaître ce qui est adapté, ce qui est inadapté”. C’est à travers cette approche positive que la Planning Familial entend lutter contre les violences sexuelles. Et les sensibilisations peuvent commencer dès le plus jeune âge avec “le travail autour du consentement ou des émotions”, raconte Marielle. Quelques années plus tard, à la pré-adolescence, les séances vont porter “sur la puberté, le corps, les premières relations, les réseaux sociaux, ce que les jeunes voient sur Internet”. C’est à cet âge-là que la notion de plaisir est abordée, “que ce soit pour des câlins, des bisous, des choses très soft”, précise Marielle ; “mais qui seront la base du respect du consentement plus tard”. Auprès de ce public, le Planning Familial répond également aux questions qui peuvent émerger sur l’orientation sexuelle ou sur l’identité de genre ; “mais on ne fait qu’y répondre !” rappelle Marielle. “On n’est pas là pour orienter dans un sens ou dans l’autre : on répond aux questionnements et on accueille la parole pour faire en sorte que les individus se sentent bien, quelle que soit la façon dont ils se définissent”.
Les sujets qui touchent à la contraception et au droit à l’avortement font évidemment partie des thèmes de prédilection du Planning Familial. “C’est notre sujet de base, puisqu’en 1956, quand le Planning Familial national a été créé, les droits de la femme n’étaient pas ce qu’ils étaient aujourd’hui”, remémore Marielle qui précise : “Le Planning Familial a toujours eu ce volet politique de lutte pour faire avancer le droit des femmes à disposer de leur corps”. Au niveau national, l’association constate néanmoins que son image médiatique est souvent réduite à cet aspect alors que “dans le 37, la moitié de notre travail porte sur la prévention des violences familiales, conjugales, sexuelles ; les discriminations… un volet qui n’est pas assez connu”, regrette Marielle.
Des forces vives bénévoles
Pour effectuer ses interventions sur tout le territoire du département, l’association départementale du Planning Familial peut compter sur un dense maillage de 150 bénévoles et 350 adhérents en Indre-et-Loire. Certains adhèrent car ils connaissent l’action du Planning ou en entendent parler sur les réseaux sociaux. D’autres rencontrent le Planning Familial “sur les différents forums des associations, les journées du bénévolat mais surtout dans les centres de formation du médico-social”, énumère Marielle. Tous sont invités à participer aux actions de terrain et à monter en compétences le plus tôt possible.
Manon, bénévole depuis janvier, raconte : “j’ai fait un service civique dans la promotion de la santé avec la mutuelle des étudiants. J’ai rejoint le Planning Familial en tant que bénévole, et depuis, je suis principalement sur le terrain”. Celle qui rentrera prochainement en master de santé publique est déjà très à l’aise dans l’exercice de sensibilisation. À côté d’elle, Our vient de s’inscrire au Planning, qu’elle a découvert lors d’un forum des associations. C’est la première fois qu’elle assiste à une intervention de terrain.
Marielle en est certaine : “la meilleure formation qui existe, c’est celle sur le terrain”. Pour cette raison, les interventions dans les structures se font en binômes ou en trinômes. Les nouveaux bénévoles commencent en observation. “Petit à petit, ils prennent de l’aisance et en parallèle, ils suivent des formations plus théoriques, entre bénévoles”, complète Marielle. “Mais c’est vraiment sur le terrain qu’on apprend à adapter les formations théoriques aux différents publics”, ajoute-t-elle.
Ce soir-là aura lieu une formation entre bénévoles sur l’utilisation des différents outils de médiation. Celle de la semaine suivante portera sur l’approche interculturelle à adopter avec le public migrant. L’association départementale étant un centre de formation agréé, les bénévoles peuvent recevoir une attestation de formation à la fin de chaque session. Et la logique de professionnalisation peut être encore plus poussée, note Marielle : “On propose à nos bénévoles les plus investis de suivre des formations spécifiques proposées par d’autres structures partenaires”. La dernière portait par exemple sur les psycho-traumatismes.
Cette attention spéciale portée aux bénévoles et à leur montée en compétences est au cœur du bon fonctionnement de l’association. Avec 13 000 personnes rencontrées tous les ans dans plus de 350 structures partenaires mais seulement 5 salariées au compteur, le Planning Familial d’Indre-et-Loire rayonne principalement grâce à l’investissement de ses bénévoles. D’où la nécessité d’en prendre soin, et de les valoriser. “Il faut les mettre sur des actions”, insiste Marielle, “il faut leur faire confiance. Les bénévoles sont certes là pour nous aider par engagement et militantisme ; mais ils viennent aussi pour apprendre des choses et pour se rendre utile”. Elle conclut : “je pense que c’est très important, la place et le crédit qu’on accorde aux bénévoles dans une association”.
“C’est très important, la place et le crédit qu’on accorde aux bénévoles dans une association”
C’est grâce à cette démarche menée depuis des années que le Planning Familial est aujourd’hui extrêmement bien implanté sur le territoire d’Indre-et-Loire, et identifié par de nombreuses structures éducatives ou sociales. “On a trop de demandes, on ne peut pas y répondre”, souffle Marielle. “C’est toujours un peu frustrant, mais c’est plutôt bon signe”.
“On a trop de demandes, on ne peut pas y répondre”
Au fil des années, l’association a développé des partenariats auprès de publics variés, avec une focale sur les personnes en difficulté sociale, dont l’insertion peut être facilitée par une meilleure compréhension des sujets portés par le Planning Familial. Ainsi, les interventions ont lieu dans les établissements scolaires (en ciblant les classes plus complexes comme les SEGPA ou les classes Ulys), dans les ESAT, les foyers occupationnels ou les foyers de vie pour les personnes en situation de handicap ; dans les Instituts Thérapeutiques Éducatifs et Psychologiques où certains enfants sont sortis du système d’éducation nationale à cause de leurs troubles du comportement ; dans toutes les structures qui accompagnent les personnes en insertion ou réinsertion professionnelle ; au sein de l’Aide Sociale à l’Enfance ; des centres d’hébergement ou d’accueil pour demandeurs d’asile ; ou encore avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse… La liste n’est pas exhaustive mais sa longueur montre déjà l’immense nécessité du travail du Planning Familial en Indre et Loire.
Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé