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Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé
Depuis 40 ans, le centre d’animation de Beaulieu anime la vie de quartier avec des actions culturelles, sportives et solidaires. En 2020 naît le P’tit Bis.fr, un espace d’initiation au numérique et d’accompagnement à l’accès aux droits, rattaché au centre d’animation. Récit d’une après-midi dans le coeur battant de ce quartier poitevin.
On ne peut pas le rater : le centre d’animation de Beaulieu est un bâtiment rouge imposant, qui trône au coeur du quartier du même nom. Ce mercredi après-midi de mars, des dizaines d’enfants de tous les âges jouent dans la cour, les salles de loisirs ou la cuisine pédagogique, encadrés par leurs animateurs. Béatrice Charrier, directrice du centre, nous accueille pour une visite.
Quand l’appellation “maison de quartier” prend tout son sens
Un rapide tour du centre permet de découvrir l’étendue des activités qu’il propose. La majeure partie du bâtiment est dédiée à l’accueil des enfants autour des temps de loisirs, d’accompagnement à la scolarité, ou encore d’ateliers d’insertion. D’autres espaces sont consacrés à des actions de lien social et de vie de quartier. Le lieu la pause accueille par exemple parents et enfants pour des moments liés à la vie de famille. L’animatrice “famille et parentalité” y anime notamment des ateliers d’éveil musical, ou encore des temps de discussion entre parents, appelés “Parenthèses”. Dans le gymnase et dans la salle de danse, des cours de sport sont donnés aux enfants comme aux adultes. Enfin, Beaulieu dispose de sa salle de spectacle et par conséquent de sa propre programmation de spectacles, de films et de danse. Une offre culturelle ouverte à tous grâce au dispositif Joker, qui permet aux habitants de Poitiers ayant peu de revenus d’accéder aux activités culturelles et sportives de la ville à moindre prix.
Il serait pourtant réducteur de s’en tenir à l’espace physique du centre pour décrire l’ensemble de ses activités. La structure met en effet un point d’honneur à vivre hors les murs, d’autant plus en période de crise sanitaire. Pendant le confinement, les bénévoles et les salariés ont redoublé d’inventivité en organisant des balades, des maraudes, ou encore des activités à distance afin de préserver le lien social à tout prix.
À la découverte de la variété des actions réalisées par et pour les habitants de Beaulieu, une première impression s’installe : la force du centre d’animation réside manifestement dans son implantation locale.
L’après-midi passée sur place nous confirme que l’appellation “maison de quartier” prend ici tout son sens. Et pour cause : l’espace, bâti en 1982, est géré par une association d’habitants créée l’année précédente. Aujourd’hui encore, ce sont eux qui font vivre le centre d’animation : en 2020, plus de la moitié des 1132 adhérents de la structure habitent le quartier de Beaulieu.
Situé à l’Est de la ville de Poitiers, ce dernier compte environ 6800 habitants. En 2015, une partie de la zone de Beaulieu devient Quartier Prioritaire de la Politique de la Ville (QPV). La date marque un nouveau tournant pour le centre d’animation. Dans son bureau, Béatrice nous raconte : “notre quartier est devenu QPV, signe qu’il y a eu un appauvrissement de la population. Grâce aux financements publics apportés, nous avons décidé d’ouvrir un lieu de médiation numérique”. C’est ainsi que naît le P’tit Bis.fr.
Pensé comme un lieu de proximité, le P’tit Bis.fr est situé à 500 mètres du centre d’animation, et conçu pour découvrir et s’initier à l’outil informatique. “On est partis du constat qu’il y avait de plus en plus de démarches à faire en dématérialisé”, se souvient Béatrice. “Et sur notre quartier, il y a une population mal francophone qui ne s’en sort pas sur les sites administratifs. Il y a également une population francophone qui n’a pas appris, qui ne sait pas faire, qui est perdue. Or on sait que les sites administratifs ne sont pas faits de manière intuitive”. Le P’tit Bis.fr propose des permanences d’animation numérique 2,5 jours par semaine. Son médiateur numérique, Sény Diaby, y accueille les bénéficiaires pour les accompagner dans leurs démarches.
Le MacDonalds de la médiation numérique
Lorsque nous arrivons sur place pour rencontrer Sény, il est occupé à remplir un formulaire sur le site de la préfecture de la Vienne, pour une habitante qui ne parle pas français. Au fond de la salle, un homme met en page son CV, sur un ordinateur mis à disposition. Régulièrement, il pose une question à l’animateur qui vient l’aider. Quelques minutes plus tard, une adolescente arrive, imprime un document et repart après avoir salué Sény.
La situation est parfaitement représentative des différentes fonctions du lieu, qui s’est adapté aux besoins des usagers. En nous présentant le dispositif, Béatrice nous parle des quatre types de publics qui se rendent au P’tit Bis.fr. Le premier, autonome, n’a pas besoin d’accompagnement mais de matériel (ordinateur, imprimante ou bien connexion internet). Le P’tit Bis.fr propose alors un espace avec un ordinateur connecté, sans que l’aide de Sény soit nécessaire. Le deuxième public est semi-indépendant. Il s’agit de personnes qui ont besoin d’aide ponctuelle, lorsque les interfaces des sites ou des logiciels changent, par exemple. L’ordinateur mis à disposition à côté de Sény permet alors de réaliser ses propres démarches, et de disposer de ses conseils quand nécessaire. Pour celles et ceux qui ne sont pas autonomes mais qui souhaitent se former, le P’tit Bis.fr propose des ateliers collectifs à destination des seniors, des adolescents et des enfants. Enfin, la dernière catégorie de bénéficiaires représente le public le plus éloigné du numérique. Pour ces personnes, la médiation numérique se transforme souvent en assistance urgente, pour éviter les ruptures de droits.
Sény est habitué à la variété des besoins des personnes qu’il rencontre. Il plaisante en nous expliquant : “On fait comme MacDonalds : venez comme vous êtes. On accompagne chacun, par rapport à sa demande. On se met au rythme de la personne, on l’accompagne sans être trop pressé, sans trop de pression ou d’exigence”. C’est dans cette philosophie que le lieu a accueilli 275 personnes différentes en 2021.
Du parcours du combattant à l’accompagnement
C’est à son parcours personnel que le Guinéen doit sa vocation. Arrivé en France en 2017, il découvre alors la lourdeur des procédures administratives françaises, lors du parcours semé d’embuches de la régularisation. Aujourd’hui, il compatit avec les personnes qu’il accompagne : “je suis passé par les mêmes procédures que les gens que je rencontre. Je sais quelles sont les répercussions sociales ou économiques quand on ne fait pas certaines démarches et qu’on perd ses droits”.
Tout en découvrant l’univers des démarches en ligne, Sény fait ses premiers pas dans la médiation numérique dès 2017, au sein de trois centres socio-culturels poitevins. Son accompagnement est particulièrement apprécié des usagers. Il raconte : “j’ai vite été repéré dans la communauté, parce que j’avais une certaine compétence à comprendre les démarches administratives, à remplir les dossiers, etc.” Une excellente réputation qui est également due à son polyglottisme : “vu mes origines, je parle une langue qui transcende un certain nombre de pays en Afrique de l’Ouest”, poursuit-il. “J’ai la chance de pouvoir parler plusieurs dialectes, ce qui facilite l’accompagnement”.
Le bouche à oreille aidant, la portée des permanence de médiation du P’tit Bis.fr dépasse aujourd’hui les frontières de Beaulieu : une personne accompagnée sur dix n’est pas du quartier. Télékigui, qui travaille sur son CV au fond de la pièce, vient pour sa part du quartier des trois cités. Il est également Guinéen, et se rend régulièrement dans cet espace de médiation. “Je viens ici parfois pour utiliser le matériel”, explique-t-il. À l’image de 70% des personnes reçues au P’tit Bis.fr, il ne possède pas d’ordinateur. Mais ce sont aussi les précieux conseils de Sény qui l’amènent ici : “Si je suis coincé quelque part, je l’appelle, il me donne ou coup de main ou me fait savoir comment ça se passe”. La séance est un succès : Télékigui repart, CV imprimé sous le bras.
Parachever le projet politique de l’association
L’efficacité, l’adaptabilité et la bienveillance dont Sény fait preuve dans sa mission résonnent parfaitement avec l’esprit de la maison de quartier de Beaulieu. De plus, le fait que la majorité des usagers sollicite l’aide du médiateur pour des démarches administratives en ligne inscrit le P’tit Bis.fr dans le projet politique du centre d’animation. Dominique et Dany, co-présidents de l’association gestionnaire du centre, nous racontent leur volonté de penser leurs actions autour de l’accès aux droits. “L’accès aux droits, aujourd’hui, c’est quoi ?” questionne Dany en évoquant un travail de groupe réalisé par l’association. “Où est le droit ? À partir de quand est-on en marge du droit ?” Ces vastes réflexions, débattues en groupe, permettent à l’association de ré-orienter son projet politique.
Ce travail a notamment permis de redéfinir les missions premières de l’association, dont les projets tournaient jusqu’ici autour de “l’action artistique et culturelle, l’action éducative et l’action sociale” énumère Dany. Un trépied auquel s’est récemment ajouté le pilier de la citoyenneté, en témoigne Dominique : “on réfléchit au passage d’une cité éducative et culturelle à une cité éducative, culturelle et engagée”. L’ouverture d’un espace dédié à la médiation numérique, qui favorise de surcroit l’accès aux droits, est une illustration de ce projet engagé pour l’insertion sociale et la citoyenneté. Une orientation qui prend tout son sens aujourd’hui, d’après Sény : “la dématérialisation des services s’est imposée à tout le monde, même avant le COVID. Mais la pandémie est venue accentuer cette réalité, parce que d’un seul coup, on est passés au presque tout numérique, et les gens n’étaient pas préparés”. Alors même si le P’tit Bis.fr ne peut pas garantir l’accès aux droits, l’accompagnement qu’il offre représente une aide immense pour les usagers, et “une satisfaction qui n’a pas de prix” pour Sény.
Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé