Contenu proposé par :
Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Agathe Roger
Le tiers-lieu numérique Alternativ’ se trouve au rez-de-chaussée des locaux de la fédération 83 de la Ligue de l’enseignement (Var). On y entre sans frapper, n’importe quel jour de la semaine. Récit d’une matinée dans un espace d’accueil, d’expérimentation et de transmission.
Ce mercredi 6 avril, une quinzaine de jeunes en service civique vaquent à leurs occupations. Sur une grande table, quelques jeunes rédigent ensemble une fiche pédagogique qu’ils présenteront à leurs camarades. À côté d’eux, d’autres se familiarisent avec le montage vidéo. Nous passons la matinée avec eux pour comprendre la philosophie et le fonctionnement du tiers-lieu.
“C’est ouvert à tout le monde, tout le temps”
Ce qui est le plus frappant à l’Alternativ’, c’est sans aucun doute son esprit d’accueil. Le lieu se veut ouvert à tous : les habitants, les associations locales et leurs publics, les entreprises, les étudiants... N’importe qui peut y entrer pour utiliser du matériel, demander des conseils ou partager un moment convivial autour d’un jeu vidéo. Martin, en service civique à l’Alternativ’ depuis 7 mois, nous explique : “il y a des particuliers qui viennent, avec ou sans rendez-vous. C’est le concept du tiers-lieu : c’est ouvert à tout le monde, tout le temps”. C’est justement grâce à cette philosophie que ce dernier a découvert la structure, accompagné d’un ami : “c’est un pote italien qui a trouvé le lieu comme ça, en se baladant. Il m’a dit : « mec j’ai trouvé ce coin, ça a l’air trop bien ! » Donc on est venus visiter”. Le moment passé sur place est manifestement fructueux : quelques semaines plus tard, le jeune homme intègre la structure en service civique.
À l’instar de Martin, plusieurs jeunes ont découvert l’Alternativ’ quasiment par hasard, et ont rejoint l’équipe peu après. Arthur est l’un d’entre eux. Il y a quelques années, il est entré par erreur dans le tiers-lieu en venant récolter des informations à la Ligue de l’enseignement pour chercher un service civique à Toulon. Il raconte : “j’ai tapé service civique sur Google, ils disaient d’aller aux Lices [quartier toulonnais où se trouvent les locaux de la fédération 83 de la Ligue de l’enseignement, ndlr]. Je suis venu dans le coin pour demander des renseignements, j’ai poussé la porte du premier bâtiment que j’ai vu”. Arthur rencontre alors Merlin, l’animateur de la structure, qui lance tout juste le projet de tiers-lieu numérique avec sa binôme Caroline. Tous deux cherchent des jeunes motivés pour participer au programme Les D-Codeurs. Quelques mots suffisent pour enthousiasmer Arthur : “il m’a parlé du projet, j’ai dit : on signe où ?”. Il quitte alors son emploi chez MacDonalds pour un service civique au sein de l’Alternativ’ pendant lequel il rédigera des fiches pédagogiques sur l’utilisation des réseaux sociaux.
“Il m’a parlé du projet, j’ai dit : on signe où ?”
Les parcours de Martin et Arthur peuvent sembler anecdotiques, mais ils sont symptomatiques de l’esprit d’ouverture du tiers-lieu. Tout est mis en oeuvre pour que chacun se sente légitime d’entrer à l’Alternativ’, puis d’y rester. Arthur peut en témoigner : “moi, j’ai eu un syndrome de l’imposteur pendant mon service civique ici. Je me suis dit : j’ai jamais travaillé dans le numérique, j’ai aucune connaissance... Mais ils m’ont de suite rassuré”.
La posture de l’Atlernativ’ est volontairement décomplexante : les profils des jeunes qui rejoignent le tiers-lieu sont ultra variés, et aucune appétence ou connaissance liée au numérique n’est requise pour y travailler. Une aubaine pour Martin et Arthur qui ont respectivement délaissé les secteurs de la menuiserie et de la restauration rapide pour découvrir celui du numérique, dans un cadre associatif. Tous deux s’en félicitent aujourd’hui. Arthur fait le bilan : “personnellement, je savais pas ce que c’était la politique, l’informatique, l’électronique. Tu découvres, tu te développes personnellement. Et ça, c’est important”. Il est aujourd’hui complètement épanoui dans ce milieu et suit par ailleurs une formation pour devenir conseiller numérique : “ici, j’ai trouvé du sens dans ce que je faisais, donc je suis resté”. À son tour, Martin détaille ce que cette expérience lui a apporté : “avant, je pataugeais. L’alternativ’ m’a aidé à me recentrer, me guider vers ce que je veux faire”. Et de conclure : “il y a beaucoup de philosophie derrière l’esprit du lieu. Et c’est une philosophie qui me plaît”.
“On part de leurs envies, leurs compétences, leur projet d’avenir”
C’est dans cet esprit que l’Alternativ’ accueille en continu vingt à trente jeunes en stage, en service civique, en CFGA (Certificat de Formation à la Gestion Associative), CLEA (Certificat de Connaissances et de Compétences Professionnelles) ou CPA (Compte Personnel d’Activité). Les activités quotidiennes du tiers-lieu sont à la fois tournées vers les projets personnels des jeunes, et vers des publics extérieurs, comme le résume Merlin : “c’est un lieu d’expression pour nos jeunes en volontariat, et un point d’appui pour tous les publics”. Dans les locaux ou hors les murs, l’Alternativ’ propose donc des permanences de réparation de PC et d’entretien de matériel électronique, des ateliers de médiation numérique, ou encore de la formation et de la sensibilisation autour de sujets numériques. Le champ des actions portées par le tiers-lieu est extrêmement large. “C’est un gros travail de communication pour nous d’expliquer de façon simple ce qu’on fait, vu qu’on touche plein de publics différents”, admet Merlin. “On est arrivés à dire que l’Alternativ’ est un espace numérique ouvert à tous, qui prodigue du soutien sur toutes les problématiques liées au numérique”. Ainsi, les actions de sensibilisation peuvent être orientées vers les jeunes sur des sujets comme l’usage des réseaux sociaux, les fake news, l’addiction aux jeux vidéo. Les séances de formation concernent souvent des bénévoles d’autres associations et portent sur la gestion des réseaux sociaux, la photographie ou encore le montage vidéo. Les publics bénéficiaires de la médiation numérique sont généralement des séniors ou des personnes qui n’ont pas accès aux droits.
Au jour le jour, ce sont les volontaires qui décident de leur programme, comme le souligne Merlin : “on part de leurs envies, leurs compétences, leur projet d’avenir et on s’ajuste en fonction des jeunes qu’on a à un instant T”. Une souplesse qui confère de l’autonomie d’après Arthur : “on te dira pas ce que tu dois faire, mais faut que tu fasses quelque chose”. Et beaucoup se saisissent de cette liberté. “En ce moment, on a une équipe très portée sur la répa PC”, constate Merlin. Les jeunes dont c’est le sujet de prédilection s’emparent donc de l’organisation de ce pôle d’activités, et transmettent leurs compétences à leurs camarades. Régulièrement, ils reçoivent des quantités importantes de matériel électronique défectueux. Il s’agit alors d’inventorier les pièces, de réparer ce qui n’est pas fonctionnel, puis de tout donner à des associations ou des particuliers dans le besoin. En tant que référent réparation, Martin “forme et briefe” les autres jeunes sur ce qu’il sait faire. Son service civique prendra fin prochainement, mais “la relève est déjà assurée”, nous affirme-t-il. Cette responsabilité l’a fixé sur la suite de ses projets : “après le service civique, j’aimerais continuer à faire de la réparation de PC. À voir si c’est dans le milieu associatif ou privé”.
De la même manière, les volontaires peuvent s’investir en encadrant les ateliers de médiation numérique, en créant des ressources pédagogiques pour les formations, en concevant des nouveaux ateliers pour les publics du tiers-lieu... La liste s’allonge au gré de leurs ambitions. En somme, “c’est à la hauteur de ce que tu as envie de faire”, déclare Martin.
“On s’est beaucoup inspirés de la notion des communs”
Au-delà de l’épanouissement personnel et professionnel des jeunes volontaires et des bénéficiaires directs des actions du tiers-lieu, l’Alternativ’ a vocation à rayonner auprès de publics très diversifiés sur tout le département du Var. Pour ce faire, le tiers-lieu peut notamment compter sur les financements de la CAF du Var et de l’État. Le dispositif des Promeneurs du Net et son solide tissu de partenaires sur le territoire contribuent à cette dynamique de diffusion. Merlin précise : “les promeneurs du net, c’est un dispositif de présence éducative en ligne dont nous avons récupéré la coordination sur le département”. Concrètement, des professionnels de la jeunesse de différentes structures (BIJ, associations, maisons locales...) prolongent leur action sur les réseaux sociaux en y suivant les jeunes. Pour le coordinateur du programme, “c’est le moyen de maintenir un lien avec eux sur les réseaux sociaux, et aussi de faire de la veille sur l’utilisation qu’ils en font”. Afin d’outiller les 42 promeneurs du net répartis dans 28 structures sur le département, les équipes de l’Alternativ’ conçoivent et animent dix temps de formation dans l’année. La gestion des écrans dans la sphère familiale, le harcèlement en ligne, la santé mentale sont autant de thématiques abordées lors de ces rassemblements physiques ou numériques qui contribuent à la construction d’un réseau autour de l’Alternativ’, comme le résume Merlin : “l’idée, c’est d’avoir des relais un peu partout”.
C’est ainsi que l’expertise accumulée au sein de l’Alternativ’ se propage chez tous ses partenaires. Une démarche pensée dès la naissance du tiers-lieu, nous raconte Merlin : “quand on s’est lancés comme tiers-lieu, on s’est beaucoup inspirés de la notion des communs. Pour nous, l’idée, c’était de lancer notre commun avec un axe d’éducation populaire”. L’équipe fondatrice s’intéresse alors aux logiciels libres pour mettre en ligne toutes les ressources produites par l’Alternativ’ et les partager au plus grand nombre : “on a créé notre propre drive. Le but, c’est d’y mettre toutes les créations du tiers-lieu : jeux vidéo, affiches, supports de sensibilisation, contenus de nos interventions... Tout est libre, stocké sur ce NAS*, et accessible à distance”. L’utilisation de la licence creative commons permet à tout un chacun d’utiliser et d’améliorer les contenus avant de les remettre en ligne.
Cette logique de transmission est d’autant plus nécessaire dans une structure où les jeunes volontaires se succèdent à un rythme rapide. Ainsi, tous les jeunes en service civique ont pour mission de participer à l’enrichissement du serveur en créant ou en mettant à jour des fiches pratiques régulièrement. C’est précisément l’activité à laquelle Maurine s’adonne ce matin-là. Sur son ordinateur, avec deux camarades, elle rédige une fiche sur le CPF. Plus tard, la ressource pédagogique sera présentée à l’ensemble du tiers-lieu pour que tout le monde bénéficie de leurs apprentissages.
La matinée se clôt au paradis des geeks et sur leur pause déjeuner, quelques volontaires s’affrontent sur un jeu vidéo. Les derniers mots de Merlin laissent à penser que 3 ans après sa création, le tiers-lieu a désormais atteint son objectif : proposer un espace ouvert à tous, lié aux thématiques du numérique, en s’appuyant sur “des volontaires super calés, pleins de ressources, d’initiatives, de créativité et d’idées loufoques”.
*NAS = Network Attached Storage, serveur de stockage en réseau en français
Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Agathe Roger