Provence-Alpes-Côte d'Azur

Michka, la maison de l’accueil et l’entraide

Michka, la maison de l’accueil et l’entraide

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Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Agathe Roger

Publié le 9 mai 2022 à 14h02 - Durée : 5mn

À Toulon, l’association L’autre c’est nous accompagne depuis 2017 des populations migrantes. En périphérie de la ville, et plus exactement dans une grande maison nommée Michka, nous avons passé un après-midi avec des habitants et bénévoles bien résolus à l’entraide sous toutes ses formes.

De gauche à droite : Franck, Moussa, Christelle, Kroya, Safia, Mireille, Aboubacar, bénévoles et accueillis de l’association L’autre c’est nous

Nous arrivons à Michka un mercredi en début d’après-midi. Les bénévoles Franck, Christelle, Safia et Mireille nous y attendent. Moussa, Kroya et Aboubacar, tous trois lycéens, n’ont pas cours et nous retrouvent sur la terrasse dans le jardin. Nous faisons connaissance et discutons autour d’un café un long moment avant de visiter la maison tous ensemble.

Aux racines de l’engagement

L’histoire de L’autre c’est nous est une histoire de militantisme. Tout commence par une révolte partagée face au traitement réservé aux exilés en France et un engagement au sein du Collectif Migrants du Var. “Le collectif a un positionnement politique clair” revendique Mireille, l’une des bénévoles. “On s’oppose à une politique migratoire restrictive. On est pour l’accueil”. À l’époque, entre deux manifestations, les volontaires se rendent dans les centres d’hébergement pour donner des cours d’alphabétisation aux migrants.

“On s’oppose à une politique migratoire restrictive”

Mais très vite, ils ouvrent les yeux sur d’autres besoins, plus urgents. “L’hébergement [des migrants] ne se faisait que dans le cadre officiel de la préfecture, du coup c’était très restrictif. On avait un nombre croissant de jeunes et moins jeunes qui étaient à la rue à Toulon”, se souvient Mireille. “En 2017, quand ce problème d’hébergement devenait crucial, on a monté notre association”. Grâce à leur réseau, les bénévoles dénichent un centre de vacances du groupe EDF à Hyères, avec lequel ils établissent une convention. Transformée en lieu d’hébergement d’urgence, la structure accueille jusqu’à 22 personnes toutes les nuits. Mireille raconte : “chaque nuit, on devait s’engager à ce que deux bénévoles soient présents. Entre 10h du matin et 19h, on libérait l’endroit. Le plus souvent, ils allaient en accueil de jour [à Toulon]. On allait les chercher le soir, on les amenait à Hyères”. Mais l’encadrement des bénévoles ne s’arrête pas là. Le mercredi après-midi et le samedi matin, ils donnent des cours de français dans un lycée toulonnais qui met plusieurs salles à disposition. Tous les étés, lorsque le centre de vacances retrouve sa fonction première, ils accueillent les migrants chez eux, ou trouvent une solution de logement alternative. L’aventure, particulièrement rythmée pour la vingtaine de bénévoles, prend fin en 2019.

Mireille, l’une des bénévoles de L’autre c’est nous

C’est à cette période que l’association décide d’accompagner un nouveau public, que “personne ne prend en charge” d’après les mots de Franck; à savoir les mineurs non reconnus et non accompagnés par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Pourtant, un cadre légal existe lorsque l’âge d’un jeune migrant n’est pas déterminé. Franck explique : “normalement, quand il y a un doute réel, il y a obligation de placement provisoire. Ça s’appelle une mise à l’abri”. Mais les bénévoles remarquent que depuis quelques années, cette obligation n’est plus respectée par les institutions. “C’est pour ça qu’on s’est retrouvés avec énormément de mineurs à la rue à cette période-là”, conclut Mireille. Il arrive que les migrants, soutenus par des associations, fassent un recours pour être reconnus mineurs. Mais ces procédures sont tellement longues que les personnes atteignent souvent l’âge fatidique de 18 ans avant d’être pris en charge par l’ASE. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Kroya, l’un des habitants de Michka.

Quatre murs, un toit et de l’entraide

En 2020, les bénévoles se mettent donc en quête de solutions d’hébergement pour ces personnes délaissées des pouvoirs publics et des associations. En mobilisant ses connaissances, Joëlle, l’une des fondatrices de L’autre c’est nous, tombe alors sur la perle rare : une grande maison familiale en banlieue de Toulon, baptisée Michka, et louée à prix dérisoire à l’association par solidarité.

Aboubacar, l’un des habitants de Michka, sur la terrasse

C’est ici que vivent Kroya et Aboubacar, ainsi qu’Éric et Saïf, deux de leurs camarades qui connaissent la même situation administrative. Un bénévole majeur s’est installé dans la maison pour encadrer la colocation. Et depuis un an, les quatre amis profitent de la routine que leur offre cet hébergement. “La vie quotidienne à Michka ça se passe bien, super, tranquille” rigole Kroya, presque étonné de notre question. “Tout le monde est content, tout le monde mange à sa faim”.

“Tout le monde est content, tout le monde mange à sa faim”

D’après lui, le quotidien à la maison est très convivial : “tous les soirs, on mange ensemble. Si tu veux préparer tu prépares, on fait comme ça”. Les règles sont les mêmes pour le ménage : le tableau de partage des tâches affiché dans l’entrée n’a pas été rempli depuis plusieurs mois. “En fait, tout le monde fait tout le temps”, explique Kroya. “On est pas obligés d’utiliser le planning”.

Moussa dans la cuisine de Michka

En nous faisant visiter la maison, Moussa souligne l’ambiance festive qui y règne. Il pointe du doigt les baffles du salon : “le soir, on met de la musique et on danse”. Après avoir vécu onze mois à Michka, le jeune Ivoirien vient d’être reconnu mineur par l’ASE. Il est aujourd’hui logé dans un hôtel à Brignol, à 50 kilomètres de Toulon, et fait trois heures de transports quotidiennement pour se rendre à son CAP. “Ça me manque, ouais”, regrette-t-il en entrant dans son ancienne chambre. “Ça c’est mon ancien lit, je me couchais là”. Son emploi du temps est encore affiché sur le mur.

Moussa, ex-habitant de Michka

Tout en laissant leur autonomie aux habitants, les membres de l’association sont très présents dans leur quotidien. “On a souvent de la visite des bénévoles dans la semaine” raconte Kroya. Ces derniers annoncent leur venue sur un fichier doodle partagé aux habitants. À titre d’exemple, Mireille vient sur place au moins une fois par semaine pour cuisiner et partager un repas avec ses protégés.

Dimanche joyeux et autres festivités

Les habitants de Michka sont donc bien entourés. La solidité de leurs relations avec les bénévoles saute aux yeux. C’est d’ailleurs sur cette philosophie que fonctionne l’association : “le principe, c’est que chacun ait un référent” explique Mireille. “Moi, je suis référente de ce jeune homme” illustre Christelle en désignant Kroya. “S’il a un souci, il sait que je suis là. Je fais ce qui est en mon possible pour l’aider”. Kroya a déjà vécu plusieurs mois chez Christelle, qui s’est notamment démenée pour faire retrouver son acte de naissance en Côte d’Ivoire.

Conversation entre Kroya et Franck

À l’instar de Christelle, les bénévoles s’investissent énormément pour offrir l’accompagnement le plus complet possible aux jeunes migrants ; à commencer par le volet scolarisation. Grâce à leur réseau et leur pugnacité, tous les habitants de Michka sont aujourd’hui au lycée ou insérés professionnellement. Aboubacar étudie la cuisine, tandis que Moussa et Kroya passent un bac pro en menuiserie. Les bénévoles suivent de très près leur parcours et s’enthousiasment à l’annonce de leurs excellents résultats. Franck continue à proposer des cours de soutien dans les rares matières qui font défaut.

Kroya présente l’une de ses créations en bois : un ensemble de quatre plateaux à fromage

Et pour rendre la vie plus belle, les amis de Michka ne manquent pas de ressources. Les weekends, ils proposent des activités culturelles ou sportives. Franck est régulièrement de la partie : “le weekend, on fait pas mal de randonnées. Maintenant, on va attaquer le foot”. Les “dimanches joyeux” font aussi partie des temps forts de la vie de la coloc. Ces grandes fêtes organisées dans le jardin permettent de rassembler les voisins de Michka et les proches de l’association dans un moment convivial afin de récolter des fonds pour poursuivre l’hébergement. Avec l’été, les sorties et les événements festifs sont amenés à se multiplier, au plus grand bonheur des habitants de la maison.

En fin de journée, nous quittons Michka avec un pincement au coeur. L’après-midi passé avec Franck, Moussa, Christelle, Kroya, Safia, Mireille et Aboubacar fut à l’image de leur association : chaleureuse et accueillante.

Les enquêtes de la Ligue

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Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Agathe Roger

Publié le 9 mai 2022 à 14h02 - Durée : 5mn

Merci pour votre temps :

les bénévoles : Franck, Christelle, Safia, Mireille

les habitants : Kroya, Moussa, Aboubacar

Entrer en contact :

Mireille : mireille.crespo-malmazet@orange.fr

Joëlle : joellebernier@neuf.fr