Sur un air de montagnes

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Image : Antoine Escuras / Journaliste : Grégoire Osoha

Publié le 20 mai à 7h15 - Durée : 8 mn

A trois reprises réparties sur une année, une centaine de jeunes français et italiens se sont réunis pour s’interroger sur la montagne de demain et faire l’expérience de la vie en collectivité et en interculturalité.

A l’instar du village gaulois d’Astérix et Obélix, le chalet Lionel Terray résiste à l’invasion des boutiques de luxe et autres palaces cinq étoiles – parfois équipés d’ascenseur pour garer les voitures de leurs clients - dans le village de Courchevel-1850. C’est dans cette bâtisse du nom d’un célèbre alpiniste des années 1950 et 1960 que la Fédération des Œuvres Laïques de Savoie (FOL 73) a choisi d’accueillir une centaine de jeunes (13-17 ans) engagés dans le projet « Respiration jeunesse » du 8 au 10 avril 2024. Construit en 1963, le chalet appartient au département de Savoie qui en a confié la gérance à la FOL 73 sous la forme d’une délégation de service public. Tout au long de l’année, des séjours éducatifs s’y déroulent dans le respect des principes défendus par la Ligue de l’enseignement.

Mais remontons quelques temps auparavant. Depuis plusieurs années, la FOL73 cherche à rénover le chalet. L’objectif : construire des sanitaires dans toutes les chambres, installer un ascenseur pour rendre le lieu accessible à un maximum de public et pourquoi pas, tant qu’à faire, améliorer l’isolation du bâtiment. Les équipes de la FOL 73 partent donc à la recherche de financements, le nerf de la guerre. En chemin, ils apprennent l’existence du programme Alcotra. Cette subvention créée par l’Union européenne a l’avantage de prendre en charge la restauration d’infrastructures ainsi que l’organisation d’activités d’éducation populaire mêlant des publics français et italiens. Le dossier nécessite un investissement important en termes de gestion, d’ingénierie et de suivi. Par chance, le service Sports et jeunesse du département de Savoie est prêt à se lancer dans l’aventure et à appuyer la FOL73, mais aussi la FOL Haute-Savoie et la Région autonome du Val d’Aoste, partenaires du projet. Les travaux peuvent enfin commencer au chalet Lionel Terray.

La Mer de glace comme symbole du réchauffement climatique

Dans le même temps démarrent les activités pédagogiques. Plusieurs établissements scolaires de Savoie, Haute-Savoie et d’Italie ont répondu à l’appel et un premier séjour immersif est organisé aux Houches en mai 2023. Avec comme point d’orgue, la visite guidée du glacier la Mer de glace. En voyant les strates sur les parois, les élèves, sidérés, visualisent la vitesse exponentielle de la fonte des glaces. Le second séjour se passe à Cogne en Italie en janvier 2024. Puis, trois mois plus tard, tout le monde se retrouve donc à Courchevel. Là, c’est un autre aléa climatique auquel les jeunes ont à faire face. Il fait 17 degrés le jour de leur arrivée et le ciel est ocré par des nuages de sable venus tout droit du Sahara. Le lendemain, la température chute de 10 degrés et il se met à neiger pendant la nuit. Vous avez dit dérèglement ?

L'atelier "danse" animé par Lilly

A l’occasion de ce troisième séjour immersif, plusieurs ateliers ont été organisés, conformément aux vœux exprimés par les jeunes lors des séjours précédents. Pour l’animation de ces ateliers, la FOL 73 a décidé de s’appuyer sur Artefact, un collectif qui rassemble des « créatifs venus d’univers différents pour proposer au public des moments originaux et inoubliables ». Au programme : sérigraphie, danse, musique, cuisine, arts plastiques, reportage et podcast. A chaque fois, le rapport des jeunes à la montagne est placé au cœur de l’activité. Pour la cuisine, les téléphones portables ont été déposés à l’entrée, dans un saladier. Erwan, chef au restaurant La forge des halles, a apporté des plantes sauvages cueillies autour de Chambéry. Il apprend aux jeunes à se servir d’ortie et d’ail des ours  pour préparer un pesto et à incorporer du lierre terrestre dans une chantilly. A la danse, Lilly commence son intervention en discourant sur l’influence du milieu environnemental sur les corps. « Avez-vous déjà remarqué qu’on ne se tenait pas pareil en ville et à la montagne ? » A l’atelier musique, Timéo, Shana, Anthony et Titouan ont écrit un texte qu’ils rappent sur une bande-son composée par quatre de leurs camarades à l’aide d’un sampler. Extraits : « Et ces ruisseaux / Où nous mettions les pieds dans l’eau / Contaminés par la pollution / Qui empêche l’évolution », « Je retrouve la joie d’être en pleine verdure / Malgré la présence d’ordures / La montagne est devenue mon terrain de jeu / Tel était mon plus grand vœu », « Les montagnes se transforment à cause du CO2 / Je marche les poumons en feu / J’aimerais toujours marcher sur les glaciers conservés / Un jour peut-être, je ne pourrai plus les contempler ».

L'atelier "cuisine" par Erwan

Ce souci pour l’écologie qui transpire de leurs paroles, on le retrouve au sein de l’atelier podcast. Installés dans une petite salle, cinq adolescents échangent sur leurs ressentis. « La nature est trop belle pour la cacher derrière des bâtiments qui servent juste à faire un peu d’argent » s’émeut Claire. « Tout ça, c’est une chaîne. L’homme, en exploitant la nature, risque de s’auto-détruire » renchérit Eduardo. « Il y a pourtant des solutions. On pourrait réparer les anciens bâtis plutôt que d’en construire toujours des neufs. Et puis, le tourisme en été valorise bien la nature, pourquoi on ne pourrait pas faire pareil en hiver ? » explique Anna. De sa voix de baryton, étonnamment grave pour son âge, Laurent se demande ce que les adultes pensent de tout cela. Justement, une délégation d’officiels italiens venus visiter le chalet passe dans le couloir. Les podcasteurs en herbe en profitent pour les interpeler. « C’est vrai que trop souvent, nous avons eu tendance à renvoyer la responsabilité du dérèglement climatique à tout le monde sauf à nous. Aujourd’hui, il ne faut pas seulement éduquer les jeunes mais toutes les générations » répond au micro la responsable d’une école hôtelière qui a accepté de se prêter au jeu du question-réponse. Une déclaration qui confirme les impressions d’Anaëlle : « Autour de moi, ce sont plutôt les jeunes qui sont au courant des problèmes environnementaux et qui essayent de se bouger pour que ça change ».

S'émanciper via l'interculturalité

Au-delà de cette prise de conscience sur les enjeux écologiques de la montagne de demain, les trois séjours Alcotra ont aussi eu comme effet l’émancipation des jeunes participants. « Au début, certains d’entre eux ne savaient pas faire leur lit » commente Aurélie, professeur d’italien au collège Jacques Prévert à Annecy. « Le projet leur a donné confiance en eux et les a rendus plus empathiques. Lorsqu’on vit en communauté, on apprend à prendre en compte les besoins de chacun. » Thierry, professeur d’histoire-géographie dans le même établissement qu’Aurélie est, quant à lui, surpris par la solidarité qui s’est créée entre les élèves. « Pendant la sortie à la patinoire du premier soir, les plus expérimentés prenaient les débutants par la main pour les aider à glisser. C’était formidable. »

En route pour la sortie "raquettes"

Pour terminer le séjour, la moitié des adolescents partent en balade en raquettes. Les guides de montagne Pascal, Nicolas et Fabien leur montrent comment reconnaître les traces laissées par les renards dans la neige et comment dévaler une pente avec brio. Beaucoup terminent malgré tout la tête dans la poudreuse mais parviennent à garder le sourire aux lèvres. L’autre moitié du groupe – qui s’était adonnée au plaisir des raquettes le premier jour du séjour – reste au chalet pour découvrir le plateau numérique. Pensé en partenariat avec l’entreprise Alpvalley, cet espace a pour vocation d’initier les usagers du chalet aux nouvelles technologies dans une démarche d’éducation populaire. Il comprend notamment un tunnel de jeux eSport et un box de réalité virtuelle. Dans la salle Hubertine Aucler, équipée d’un mur d’écrans interactifs, les jeunes découvrent les spécificités de la faune et de la flore des Alpes grâce à un memory. Alors que Timéo reconnaît l’arnica qu’on lui donne quand il se blesse, deux de ses camarades s’extasient devant la beauté de l’androsace alpine. Dans la salle Marc Bloch, Ségolène, chargée de mission numérique de la FOL 73, anime le jeu de plateau (sans écran) @h... social créé par le Bureau information jeunesse du département de l’Orne. Conçu comme un jeu de l’oie avec des dés et des questions pour avancer, il permet d’aborder les bonnes pratiques à adopter sur les réseaux sociaux pour protéger sa vie privée, ne pas céder au harcèlement ou encore respecter les droits d’auteur. Certaines cartes traitent aussi de l’impact écologique du numérique. Saviez-vous par exemple qu’environ deux millions de vues d’une vidéo postée sur Internet consommait l’équivalent de la production d’un an d’une centrale nucléaire ?

L'espace numérique du Chalet Lionel Terray
Des jeunes qui sont allés au contact de la montagne n’évoluent pas de la même manière que ceux qui n’y sont pas allés

Pendant ce temps, une partie de l’équipe de la FOL 73 est mobilisée par la présentation des travaux du chalet à un panel de partenaires institutionnel, associatif et financier. Parmi eux, Fabrice Pannekoucke, Vice-président du Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Dans son allocution, l’élu salue « la réalisation de ce beau projet qui est une œuvre collective (…) alors que très souvent, les centres de vacances dans les territoires de montagne ont été la cible de convoitises jusqu’à les faire disparaître, ce qui est absolument insupportable ». Egalement maire de Moutiers en contre-bas de la vallée, Fabrice Pannekoucke fait part d’une conviction personnelle : « Des jeunes qui sont allés au contact de la montagne n’évoluent pas de la même manière que ceux qui n’y sont pas allés (…) Il faut emmener les jeunes en montagne à toutes les saisons, il faut les emmener aux différents âges de leur construction d’adulte et il faut les emmener au contact des professionnels de la montagne ». C’est bien là tout l’objectif du chalet Lionel Terray.

L'heure du départ pour les participants du séjour

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8 mn
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Image : Antoine Escuras / Journaliste : Grégoire Osoha

Publié le 20 mai à 7h15 - Durée : 8 mn

pour aller plus loin :

Plus d'informations sur le projet "Alcotra - Respiration Jeunesse" sur www.fol73.fr/15512-2/

Un grand merci à toute l'équipe de la FOL 73 !

Pour entrer en contact : contact@fol73.fr