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Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé
Depuis 2006, les associations locales d’Occitanie sont invitées à promouvoir les langues et les cultures de leur région dans le cadre du festival Total Festum. Sur le territoire du Val de Dagne (Aude), tout au long du mois de juin, ce sont les bénévoles de l’Abribus qui organisent une série de manifestations culturelles dans douze villages. En ce vendredi 1er juillet, l’association clôture l’édition 2022 avec l’installation d’une exposition photo à Fajac, village d’une trentaine d’habitants.
D’abord, il faut planter le décor. Fajac-en-Val est une commune du centre du département de l’Aude. Pour s’y rendre, il faut sillonner les petites routes du Sud-Est de Carcassonne pendant une courte heure. Et sur la trentaine de résidences du village, il n’y a guère que celle du maire qui est occupée toute l’année. Pourtant, c’est ici que l’Abribus choisit de se retrouver pour marquer la fin du Total Festum. La matinée commence avec une balade dans les petites rues de Fajac, pendant laquelle nous en apprenons plus sur l’histoire du festival.
S’appuyer sur les associations locales
Né en 2006 sous l’impulsion des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, le festival Total Festum a pour but de valoriser les langues, les arts et les cultures régionales. Aujourd’hui porté par la région Occitanie, il poursuit le même objectif, en partenariat avec les acteurs culturels et associatifs des territoires.
Dans le département de l’Aude, L’Abribus fait justement partie de ces structures qui animent la vie culturelle locale toute l’année. À Montlaur et autour, l’association programme des pièces de théâtre pour les écoliers et les habitants, organise un ciné-club mensuel, ou propose des cours hebdomadaires d’occitan. Car l’attachement à la culture régionale est le ciment de cette joyeuse équipe d’une centaine de bénévoles. Tous ne parlent pas occitan parfaitement, “mais on se soigne” assure une des bénévoles en rigolant. Et pour varier les plaisirs, les cours de langue sont parfois accompagnés d’ateliers de chant traditionnel ou de séances de lecture de textes en occitan.
C’est donc naturellement que l’association fut pionnière dans le lancement du festival Total Festum dans la région. Michel, bénévole, se remémore : “dès son lancement, nous avons été séduits par ce projet et nous avons souhaité l'organiser dans notre village d'abord puis dans tout le Val de Dagne. Nous étions alors 7 associations à participer dans l'Aude, et une quarantaine en Occitanie”. Une quinzaine d’année plus tard, la dynamique a pris : en Occitanie, plus de 150 structures locales organisent désormais des événements culturels dans le cadre du festival, autour de la Saint-Jean.
Pour tout le monde et par tous les moyens
C’est cet engouement qui a poussé le festival à s’étaler progressivement sur tout le mois de juin, afin de permettre aux associations organisatrices de toucher plus de communes. L’Abribus, pour sa part, se rend dans douze villages, avec une programmation différente dans chacun. Pour promouvoir la culture occitane, tous les vecteurs sont bons : le sport, le théâtre, la musique, le cinéma, la danse… Selon les manifestations prévues, des artistes locaux sont contactés pour se représenter et faire honneur au territoire et à son histoire. Quelques jours plus tôt, Montlaur a par exemple accueilli pour un concert en occitan Alide Sans, une chanteuse venue du Val d’Aran.
En égrenant le festival dans douze villages, l’association cherche à donner au Total Festum un esprit ultra local. Le but : se rendre au plus près des habitants qui composent le territoire. Un point d’honneur qui représente parfois un défi, tant les communes en question se vident. Daniel, président de l’Abribus, précise la démarche de l’association en prenant l’exemple du village dans lequel nous nous trouvons : “Fajac, c’est un village particulier, parce qu’il n’y a pas grand monde. Il n’y a pas de résidence permanente, ce ne sont que des résidences secondaires. Donc on a du mal à organiser une soirée ici : on ne voit pas les habitants et eux ne voient rien de notre asso”. Les années précédentes, les bénévoles se sont contentés d’une randonnée dans le village et d’une rencontre avec le maire. Mais cette fois, ils tiennent à remplir leur mission de diffusion de la culture traditionnelle auprès de tous. “On a eu l’idée de laisser une trace pour montrer ce qu’est le Total Festum”, poursuit Daniel. “Donc on va installer dans le village une exposition faite de photos, d’affiches, qu’on laissera quelque temps ici”.
Les murs en pierre du village et les barrières bordant ses chemins s’habillent donc de photos racontant les dernières éditions du Total Festum dans le Val de Dagne. C’est l’occasion pour les bénévoles de nous décrire certaines des traditions mises à l’honneur, images à l’appui. Mireille, professeur d’occitan de l’association, nous décrit longuement le rugby à treize et les joutes de Sète, à propos desquelles elle regrette que les filles ne puissent toujours pas participer.
D’après elle, la préservation de la langue devrait être la ligne de mire de toutes les actions de promotion de la culture occitane. “Le but”, explique-t-elle, “c’est de revigorer la langue et d’en faire passer un maximum, dans un maximum d’endroits”. Les compétitions sportives font partie de ces lieux qui peuvent être investis par l’occitan.
“Le but, c’est de revigorer la langue”
Mireille se réjouit d’ailleurs que les scores soient énoncés en français et en occitan lors des matchs de rugby au stade de Carcassonne. C’est son mari, Alan, conteur traditionnel, qui commente les matchs en jonglant entre les deux langues. “Et jusqu’à présent, personne n’est venu lui casser la figure”, sourit-elle.
Passer le flambeau
La volonté de sauver la langue occitane est viscérale chez ces bénévoles et amis de l’Abribus, qui ont pour beaucoup grandi avec. “Gamins, on était imprégnés”, se souvient Daniel. “Au village, les gens se rassemblaient sur les bancs en sortant du boulot. Et là ça ne parlait qu’occitan. Aujourd’hui, ça a nettement disparu”, constate-t-il.
Cette dynamique, née de l’unification de la langue républicaine à l’école et à l’armée au début du XXème siècle, ne s’arrange pas avec les mouvements démographiques du territoire. Daniel prend pour exemple le département voisin : “actuellement, dans les Pyrénées Orientales, 70% de la population n’est pas originaire du département. Donc pour perpétuer la langue, c’est foutu”.
“Pour perpétuer la langue, c’est foutu”
Alors que les jeunes ont tendance à quitter le territoire massivement, de nombreuses familles belges ou anglaises s’installent dans les villages, notamment à Montlaur. Certaines s’intéressent de très près au travail de l’Abribus et “ne ratent aucune des manifestations”, d’après Daniel. Un enthousiasme très apprécié, même si fondamentalement, le problème énoncé par le président reste le même : “c’est pas eux qui vont faire vivre la langue”. Le vrai rêve de l’association serait d’atteindre des jeunes locaux, voire de les investir dans la lutte. “On essaie d’en recruter, mais ça n’est pas facile”, avoue l’une des bénévoles. “Ils ont d’autres priorités”. Heureusement, il y a bien un événement qui fait vivre la tradition occitane et qui parle les jeunes : les bals traditionnels. “Les jeunes écument la région pour les bals trad”, raconte une autre bénévole. “Quand on en programme un pendant le Total Festum, on est sûr qu’il y aura du monde”. Un outil parmi mille qui, espérons le, contribue à porter le message de l’Abribus auprès d’une nouvelle génération.
Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé