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Image : Antoie Escuras / Journaliste : Grégoire Osoha
En ce début de printemps, la Ligue de l’Enseignement de l’Indre a organisé un rassemblement de jeunes français et allemands. L’occasion idéale pour mettre l’Union européenne à l’honneur.
« Troque ton croissant contre un bretzel », « le U-Bahn contre le Métro » et « la Côte d’Azur contre la Mer Baltique ». Dans le grand salon du gîte construit dans les anciennes écuries du château d’Azay-le-Ferron, le ton est donné. Du 7 au 10 mai 2024,la Ligue de l’Enseignement 36 y organise une rencontre entre 25français et 25 allemands âgés de 16 à 20 ans. Enfin, plus précisément de 25 Centro-ligériens et de 25 Saxon-Anhaltains. Pourquoi ces deux régions en particulier ? Car voilà vingt ans maintenant qu’elles sont jumelées. Des partenariats ont donc été tissés entre les organisations de jeunesse des deux territoires et des possibilités de financements publics existent pour monter des projets interculturels.
C’est en tous cas ce qu’a pensé Judith Cartier, Chargée de la mobilité à la Ligue de l’Enseignement de l’Indre, lorsque le jeune Esteban l’a contactée en octobre dernier pour lui dire qu’il voulait organiser une rencontre franco-allemande. Il faut dire que le lycéen en cursus Abibac (c’est-à-dire préparant à la fois le baccalauréat français et l’Abitur allemand) garde un souvenir mémorable de son premier séjour immersif en Allemagne. « J’aime beaucoup l’état d’esprit des Allemands. C’est une façon d’être qui me convient beaucoup et j’ai donc envie d’approfondir mes liens avec ce pays. Et puis surtout, organiser un nouveau séjour, c’est l’opportunité de faire de nouvelles rencontres. »
Se rencontrer : l’objectif du séjour pourrait se résumer à ce seul mot. « On a fait en sorte de mettre le moins de conditions possibles pour s’inscrire et on a fixé un tarif plus que raisonnable, de sorte que puissent participer des jeunes d’horizons différents » commente Judith. Pari gagné. Outre les élèves habitués aux bons résultats en classe, figurent des jeunes ayant dû faire face à des difficultés sociales et en décrochage scolaire. Certains ne parlent pas un mot d’allemand ? Pas grave. Ici, on compte sur l’entraide pour faciliter la communication. Au programme : du sport (avec une session de paddle), de l’artisanat (avec un atelier de tressage végétal) et de la culture (avec des visites guidées de la région et une soirée Eurovision).
De Tours à Magdeburg en passant par Mayotte
La mayonnaise ne tarde pas à prendre. Dès le deuxième soir, une queue-leu-leu spontanée réunit l’ensemble des jeunes au son d’Alors on danse du belge Stromae. Judith, assistée pour la traduction de Chiara – une animatrice allemande au français impeccable –,s’excuse de casser l’ambiance. Elle éteint la sono et appelle les jeunes par groupe. Chacun doit présenter la ville dont il est originaire. Esteban et son ami Adrien commencent par Châteauroux que Ben-Luca, un jeune allemand, parvient à localiser sur la carte de France sous les applaudissements. Suivent ensuite Jerichower Land,Argenton-sur-Creuse, Lutherstadt Wittenberg, Tours et Magdeburg. Son tour venu, Maïmouna présente Le Blanc, la ville creusoise où elle vit, et Mayotte, l’île où elle est née. L’occasion inattendue de faire le lien entre les mille étangs de la Brenne et le maki, sorte de lémurien bien connu des habitants de l’Océan indien. La soirée se termine par la dégustation de spécialités locales. Fromages de chèvre pour les uns, biscuits Wikana et Kalter Hund pour les autres.
Si Judith Cartier a pu organiser en si peu de temps un tel rassemblement, c’est qu’elle a pu compter sur l’appui de Skady, référente OFAJ (Office franco-allemand pour la jeunesse) et membre de l’EJBM (Europäische Jugendbildungsstätte Magdeburg). Les deux femmes partagent la même conviction : si l’on veut construire l’europhilie de demain,il faut commencer par en faire comprendre aux jeunes les enjeux. Cela tombe bien : la seule période disponible identifiée pour organiser le séjour comprend le 9 mai, Fête de l’Europe. C’est décidé, cette journée-là sera exclusivement consacrée à cette thématique. Matin et après-midi, les jeunes tournent entre trois ateliers. L’un de ceux-ci est dirigé par Stefan, un étudiant allemand qui se destine à l’enseignement académique de l’anglais et de la philosophie mais qui est de plus en plus piqué d’éducation populaire. Avec lui, les jeunes réalisent de courtes vidéos dans lesquelles ils expriment leurs bonnes raisons d’aller voter aux élections européennes du 9 juin. Judith, elle, a organisé un quiz pour aider les participants à améliorer leurs connaissances sur les pays de l’Union. Réunis en petits groupes, les adolescents piochent une carte « pays » au hasard et doivent répondre à la question posée. Combien de lettres comporte l’alphabet slovaque ? Quelle capitale se trouve en face de Riga ?Combien de kilogrammes de café par an les Finlandais consomment-ils en moyenne ? (Réponse : 12) Pourquoi certains Tchèques ont-ils une carpe dans leur baignoire au mois de décembre ?
A quelques semaines des élections européennes...
Skady est à l’initiative du troisième atelier. Aidée par les animateurs Max et Typhaine, elle a organisé une simulation de Parlement européen. Autour de la table, chaque jeune a un rôle à jouer. Annicka est Présidente du Parlement, Esteban Président de la Commission européenne, les autres sont soit membres du Conseil de L’Europe, soit députés européens. En fonction du parti politique qu’on leur a assigné, ces derniers doivent se positionner sur une proposition de loi émise par la Commission sur la réglementation de l’intelligence artificielle (IA). Après des débuts un peu hésitants, les jeunes se prennent au jeu. Particulièrement Norah qui, dans son rôle de lobbyiste, tente d’influencer les votes,voire de soudoyer les députés avec des chocolats. Un peu plus tard,alors que les socio-démocrates se fracturent sur la question de l’utilisation de l’IA par la police, la représentante des Verts prend son courage à deux mains pour dénoncer un collègue corrompu.La partie se termine après l’adoption de plusieurs amendements, consécutifs à la mise en place de stratégies d’alliance.
Si on a voulu organiser ce séjour, c’est parce que nous croyons que les rencontres de ce type permettent à chacun de devenir des acteurs de cette paix sur notre continent.
Les participants profitent alors d’un goûter bien mérité préparé par Thelma, la directrice du gîte, et Katia, la chauffeuse du bus allemand, avant de se rejoindre dans la cour pour la dernière activité de la journée, un débat mouvant. Chacun est invité à prendre position dans l’espace en fonction de la phrase « Dans ma vie de tous les jours, je me sens européen ». A droite, ceux qui sont d’accord. A gauche, les pas d’accord. Puis chacun échange avec son voisin sur le sujet. Au bout de quelques instants, certains sont invités à s’exprimer devant le groupe. Aux « pour moi, être européen ne signifie rien » et « je ne connais même pas le nom des institutions ou des personnalités politiques »répondent des « quand j’utilise les Euros ou que je me renseigne sur le programme Erasmus, je me sens européen » et« je préfère de loin me définir comme européenne que comme allemande, étant donné notre passé ». Chacun écoute les arguments de l’autre avec bienveillance. Pour conclure, Judith rappelle les raisons qui ont poussé à la création de l’Union européenne. « L’idée, c’était de bâtir la paix… et ça a marché ! Il n’y a jamais eu une période aussi longue sans guerre que depuis la création de l’UE. Mais la paix, c’est fragile. Si on a voulu organiser ce séjour, c’est parce que nous croyons que les rencontres de ce type permettent à chacun de devenir des acteurs de cette paix sur notre continent. » Soixante ans après la signature du Traité de l’Elysée entre le Président Charles de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer, une nouvelle branche de l’amitié franco-allemand a pris racine au bord du Chateau d’Azay-le-Ferron.
Image : Antoie Escuras / Journaliste : Grégoire Osoha