Contenu proposé par :
Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé
Cela fait déjà plus de 30 ans qu’en plein cœur de la Corrèze, le petit village de Chanteix accueille le Festival Aux Champs tous les étés, au mois de juillet. Avec une nouveauté depuis quelques éditions : au début du festival, des personnes en situation de handicap proposent une représentation artistique préparée tout au long de l’année. Lundi 5 juin, à la mythique Boîte en zinc de Chanteix, une cinquantaine d’entre eux répétaient en vue du concert final. Reportage.
À l’intérieur de la Boîte en zinc, la salle de répétition se remplit petit à petit. Il est 14h30 et comme tous les mois, un groupe de jeunes d’établissements médico-socio-éducatifs de la région se retrouvent pour relever le défi qui leur a été proposé par On Dit Cap’ : monter sur scène et réaliser la première partie du chanteur Louis Chedid qui ouvrira le Festival Aux Champs, le 6 juillet 2023.
L’évolution d’un festival ancré dans le paysage
L’histoire d’On Dit Cap s’inscrit dans celle, plus vieille, du Festival Aux Champs de Chanteix. Né en 1972 de l’initiative d’une bande d’adolescents, il en sera cet été à sa 36ème édition. Jean-François, bénévole de la première heure et président de l’association organisatrice Tuberculture, revient sur ces cinquante années de cheminement. “Une bonne partie de [s]a vie”, rappelle-t-il, rieur. Les questions sur les débuts de l’aventure le plongent dans ses souvenirs : “initialement, c’est un groupe d’ados, enfants d’agriculteurs, qui se demande : qu’est-ce qu’on fait à Chanteix, l’été, une fois qu’on a aidé nos parents à faire les foins ?” De ce questionnement naît un spectacle, travaillé tout au long de l’été et joué dans la vieille salle des fêtes de Chanteix. L’année suivante, le foyer culturel de la jeunesse chantexoise - ancêtre de l’actuelle Tuberculture - est créé.
Au fil des ans, le foyer culturel élargit ses champs d’action : soirées récréatives, cinéclub, activités sportives… avec les moyens du bord, les jeunes bénévoles s’organisent pour dynamiser la vie de la commune. “Il y avait un engouement de création”, se remémore Jean-François. “Des foyers ruraux se créaient partout”.
En 1987, les Francofolies de la Rochelle ont un an, et les festivals ont le vent en poupe. Au foyer, une nouvelle idée germe : “pourquoi on ferait pas un festival de musique à Chanteix ?” Ni une ni deux, l’équipe organise une semaine de concerts dès l’été 1987, avec une programmation très éclectique : “ça allait du folklore limousin à Noir Désir, en passant par des danseurs de l’Opéra de Paris, un orchestre symphonique…” Une variété qui représente aujourd’hui encore l’ADN du Festival Aux Champs.
Une quinzaine d’années plus tard, l’association, renommée Tuberculture, décide de faire le lien entre les champs et la culture en célébrant la pomme de terre pendant une journée du festival. “Ça a donné au festival un côté fête locale”, explique Jean-François. En intégrant une “fête de la patate” à la programmation, l’événement s’ouvre à de nouveaux publics qui profitent de l’occasion pour assister aux concerts. Le tour est joué.
Dans cette même perspective d’ouverture à tous les publics, l’association organise en 2020 un concert à destination de 500 personnes en situation de handicap. En sortant de la soirée, l’équipe bénévole émet une énième idée : faire monter ces personnes sur scène afin qu’elles donnent leur propre représentation artistique. Les jalons d’On dit Cap sont posés.
Des défis pour changer le regard sur le handicap
Le projet On Dit Cap’ repose d’abord sur le partenariat noué entre l’association Tuberculture et le Groupement d’Établissements Médico-Socio-Éducatifs du Limousin (GEMSEL). Tous les ans, un nouveau défi artistique est lancé à la cinquantaine de structures du GEMSEL. Lors de la première édition, des auditions sont organisées au sein des établissements pour permettre à une dizaine d’adultes en situation de handicap de chanter sur scène. L’année suivante, c’est la compagnie de danse Hervé Koubi qui accompagne un groupe dans la création d’une chorégraphie. Cet été, chaque structure associée au projet chantera une chanson de son choix, suite à quoi elles se regrouperont toutes pour interpréter T’as beau pas être beau de Louis Chedid, juste avant son entrée en scène. Un joyeux concert qui regroupera 200 personnes.
“Le but”, explique Véronique Saubion, présidente du GEMSEL, dans une interview accordée à Corrèze TV, “c’est de mettre en avant les personnes qui sont dans nos institutions. De démontrer au grand public qu’eux aussi ont des compétences et qu’ils peuvent, comme tout un chacun, participer à des concours, à la vie de la cité, être vraiment actifs dans notre société aujourd’hui”.
“Eux aussi ont des compétences”
La musique est un excellent médium pour témoigner du talent, de la sensibilité et des capacités des personnes en situation de handicap. Au sein des établissements du GEMSEL, de nombreux résidents sont passionnés de musique et chantent à longueur de journée. Ils connaissent leurs chansons préférées par cœur et apprécient se donner en spectacle. “Y en a certains, c’est des show man !” plaisante André Jean Mirou, le chanteur et guitariste qui accompagnera le groupe de 200 personnes sur scène. Lui-même a changé de regard sur le handicap depuis qu’il participe au projet. “J’ai de plus en plus de mal à percevoir leur handicap comme un point de départ”, remarque-t-il. “Ils sont différents, oui - je ne me voile pas la face. Mais je ne les perçois pas comme des personnes handicapées ! Ce sont des personnes, point barre”. L’artiste a adoré découvrir des talents uniques et singuliers chez les résidents qu’il apprend à connaître depuis trois ans. À l’instar de Valentin, jeune accordéoniste, qui l’accompagne sur la chanson Et Bam de Mentissa.
La première fois qu’André-Jean a entendu Valentin, il a simplement halluciné. “Ça fait un an qu’il joue, tout à l’oreille !” raconte-t-il, ahuri. “La chanson Et Bam, il ne peut pas la jouer en si mineur car il a un accordéon diatonique. Il a pas toutes les notes, donc il y a des tonalités qu’il ne peut pas faire. Mais pour lui c’est pas un problème : il a tout transposé en la mineur, un ton plus bas”. Une prouesse selon le musicien, qui semble presque jaloux !
Du dépassement, de la joie, des rencontres
Chez les participants, les témoignages sont très joyeux. Ils apprécient sortir de leur structure et rencontrer de nouvelles personnes. “Ça permet de voir différents univers”, évoque Franck ; tandis que son camarade Benjamin est heureux de partager la scène avec des écoliers de Chanteix, l’école qu’il fréquentait il y a quelques années.
Pour André-Jean, les liens qui se sont tissés lors des répétitions sont très précieux. “Ils sont hyper solidaires entre eux”, observe-t-il. “Ça fait partie du truc magique de ce petit monde : les rapports sont vachement sains”. Aurélie, animatrice au sein d’un ESAT, note que le projet On Dit Cap’ a également créé une belle dynamique au sein de la structure. “C’est très fédérateur dans l’établissement”, se réjouit-elle. “Dès la première saison, 3 ou 4 personnes ont chanté. L’année d’après, ils étaient 10 à vouloir s’inscrire. Et au-delà de ça, ceux qui ne montent pas sur scène viennent les voir”.
Le projet On Dit Cap’ est surtout transformateur pour tous les individus, qui progressent tout au long de l’année, s’épanouissent dans une pratique artistique et surmontent leur stress le jour de la représentation. “C’est très net”, affirme Aurélie à propos des adultes qu’elle accompagne. “Des gens qui n’étaient pas sûrs d’eux se sont transcendés sur scène. C’est un super projet, très épanouissant”. Franck et Julien confirment : l’année dernière, ils étaient particulièrement stressés à l’idée de monter sur scène. Tous deux font du théâtre, “mais pas devant autant de personnes”. “Mais quand on l’a fait, c’est passé comme une lettre à la poste”, se souvient Julien. Benjamin a aussi adoré l’expérience : “quand j’étais sur scène, j’ai vu le monde et j’avais peur de rater. Mais après je voulais rester”.
La répétition touche à sa fin et André-Jean prend le temps de féliciter ses chanteurs en herbe. “Vous y mettez du coeur, de l’amour, c’est bien. Je suis content de vous”, lance-t-il au groupe. En face, les réponses fusent. “Nous aussi on est contents !” ; “On a cassé la baraque !” Le groupe se disperse dans les applaudissements, les “et bam” qui restent en tête, et les adieux aux amis. Le concert s’annonce beau et touchant : rendez-vous le 6 juillet à Chanteix.
Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé