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Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé
En Indre-et-Loire, le réseau associatif Ciné Off se déplace de commune en commune pour faire vivre le cinéma au plus près des territoires. Son dispositif technique permet de projeter des films dans des salles de spectacles comme dans des salles des fêtes. Ce jeudi 20 octobre, c’est un public sénior qui vient apprécier le film Le Tigre et le Président dans la salle polyvalente de Saint-Cyr-sur-Loire. Reportage.
Jeudi 20 octobre, 14h, salle de spectacles de Saint-Cyr-sur-Loire. Le public est installé, les connaissances s’échangent quelques mots de connivence. François, Saint-Cyrien surnommé “Monsieur Cinéma” par les locaux, est devant la scène, face aux spectateurs. Il entame un court discours pour accueillir la salle. “Je suis un peu déçu parce que je pensais qu’un film avec de si bons acteurs allait attirer plus de monde”, confesse-t-il au micro. Il poursuit : “mais les gens sont sans doute timides pour sortir. C’est dur de faire venir les personnes au cinéma, au spectacle, au théâtre. On a un peu de difficultés”. Passé cet aveu, le ton change rapidement : “De toutes façons, vous serez satisfaits, car c’est un très bon film !” Après avoir annoncé la programmation culturelle locale des semaines à venir, François conclut : “je voudrais comme d’habitude remercier les régisseurs de la salle, Thibault et Olivier de Ciné Off. Cette projection est une participation du service de la culture de la ville, du CCAS* et de Ciné Off. Car sans Ciné Off, on n’aurait pas de film projeté”. Les applaudissements retentissent, les lumières s’estompent et le film commence.
40 ans de logistique au service du cinéma
Née en 1982 face au constat désolant de la disparition des salles de cinéma dans les quartiers, les petites villes et les villages, Ciné Off a depuis traversé de nombreuses métamorphoses. Olivier, projectionniste et coordinateur logistique de l’équipe, a rejoint l’association de cinéma itinérant en 2007 ; mais il connaît son histoire par coeur. En 1987, l’association passe des pellicules de 16mm au 35mm. À cette époque, une trentaine de salles du département sont déjà desservies par le circuit itinérant. Mais c’est en 2012 l’association prend la décision la plus audacieuse : celle de renouveler entièrement son matériel pour passer au numérique, sans aucune certitude sur la pérennité de son activité. “On se disait : quel est l’avenir du circuit itinérant avec cette migration numérique ?” se remémore Olivier. Les pellicules et les dérouleurs disparaissent alors au profit des fichiers et des projecteurs numériques. Un choix qui, avec du recul, s’est avéré gagnant.
Ainsi, depuis 40 ans, Ciné Off perfectionne son matériel pour continuer d’assurer des projections de qualité sur le territoire. Et les contraintes à prendre en compte sont nombreuses. Olivier s’explique : “on rencontre tous les cas de figure. Ici, nous sommes en milieu suburbain de Tours, dans une grande salle de spectacles. Mais parfois on va en milieu rural avec des salles moins bien équipées : une salle de fête de plain pied par exemple”. Le projecteur, installé dans une caisse technique, peut alors se surélever à hauteur de tête et ne nécessite aucune régie. Plus généralement, le dispositif technique conçu par Ciné Off permet de s’adapter à chacune des situations de projection.
Cette compatibilité “tout-terrain” n’est pas de tout repos pour les membres du cinéma itinérant. “Contrairement à une salle mono-écran où tout est automatisé, on a beaucoup de logistique de chargement, d’installation, de câblage, de réglage et de montage avant la séance”, note Olivier. “Avec des moyens assez minimes”, précise-t-il. Le déploiement de ce dispositif dans plus de 45 communes du département tout au long de l’année réclame une organisation implacable de la part de l’association. Sur les 10 salariés de la structure, quasiment tous sont projectionnistes ; mais la plupart d’entre eux assument une autre responsabilité. Olivier coordonne la logistique, Marion s’occupe de la communication, Éric encadre les projections en plein-air, Marie est médiatrice, Gilles gère la flotte des véhicules, Michaël la billetterie informatique…
Du cinéma, pour tous, partout
Depuis 1982 et à travers les changements de matériel ou d’équipe, c’est la même philosophie qui guide Ciné Off : maintenir la culture cinématographique en milieu rural, auprès des publics les plus éloignés de l’offre culturelle. En 2019, près de 100 000 personnes ont assisté à une séance proposée par le réseau itinérant sur le département.
Pour Solenne, directrice de l’association, c’est notamment tout ce qui se passe autour du film qui rend les projections Ciné Off attractives. C’est sur cet aspect que l’association joue pour que les spectateurs se sentent à l’aise, vivent un moment enrichissant et souhaitent renouveler l’expérience. C’est un conseil que Raphaël Maestro, directeur du circuit itinérant périgourdin Ciné Passion, a prodigué à Solenne : “Il m’avait dit : “la séance commence dès que tu parles”. J’aime cette idée là” se souvient-t-elle, avant de démontrer : “aujourd’hui, dès que François a parlé, les gens se sont sentis pris en considération”.
Ciné Off accorde donc une attention particulière à l’accueil des spectateurs. La plupart du temps, une association locale ou un employé administratif de la commune partenaire encadre la projection dans une ambiance conviviale ; comme c’est le cas à Saint-Cyr ce jour-ci.
“La séance commence dès que tu parles”
Mais dans la mesure du possible, le réseau itinérant accompagne aussi le public dans la compréhension du film en lui fournissant des clés de lecture. Les projectionnistes sont donc invités à présenter le film en amont, grâce à des outils créés par l’association ou à l’aide d’une vidéo montée préalablement ; selon leurs préférences. Il arrive aussi que l’association organise un événement après la séance pour créer un temps d’échange autour du film. “Dans les salles où il y a beaucoup de séances, il peut nous arriver d’avoir des réalisateurs qui viennent et ça crée une plus-value à la projection”, raconte Solenne. Plus fréquemment, l’association propose “des échanges après le film, des débats, des invitations d’associations”. À l’occasion de la projection du film Les Engagés, Solenne réfléchit par exemple à inviter l’association Utopia 56 “pour parler de leur action et de leur point de vue sur le film”.
À ce stade, c’est le jeune public qui est le plus représenté dans l’audience de Ciné Off. Sur le temps scolaire comme hors temps scolaire, l’association a réussi à créer des moments de rendez-vous mythiques pour les classes ou les jeunes cinéphiles. À titre d’exemple, tous les mois, huit salles du réseau diffusent un film d’animation indépendant dans le cadre du dispositif “1, 2, 3…Ciné !” co-organisé avec l’Association des Cinémas du Centre (ACC). En 24 ans d’existence, le festival Graines d’images junior est également devenu une institution pour les classes et les centres de loisirs du département.
Mais l’association se questionne perpétuellement sur la façon d’attirer des publics plus éloignés encore du cinéma. “On les perd vers l’adolescence”, regrette Solenne, “on n’arrive pas à les capter”. Olivier confirme : “les 15-25 ans, c’est le public qu’on capte le moins dans notre réseau - et au niveau national aussi”. Pour cette raison, Ciné Off a récemment recruté une médiatrice sur deux communes d’Indre-et-Loire, avec le soutien de l’Association des Cinémas du Centre. “Son job, c’est de faire de la médiation en direction des ados et d’essayer de les faire venir à la salle”, explique Solenne. Et de préciser : “elle bosse sur des lieux d’accueil collectif de mineurs comme les accueils de jeunes pour essayer de créer des temps pas uniquement au collège, mais hors temps scolaire”.
La problématique est par ailleurs prise au sérieux au niveau national, puisque le CNC a mis en place un appel d’offre “jeunes cinéphiles” pour soutenir les projets qui sauront raviver l’amour du cinéma chez les adolescents. Cela va sans dire, Ciné Off a tenté sa chance.
La programmation comme outil d’implication
Pour mener sa mission à bien, Ciné Off ne réfléchit pas uniquement au déroulement de la séance. La programmation est aussi utilisée comme vecteur d’implication. En effet, quoi de mieux que d’associer les participants en amont de la séance pour s’assurer de son succès ?
Solenne évoque plus longuement la façon dont les films sont programmés sur le circuit itinérant : “L’ACC organise des pré-visionnements une fois par mois, ce qui nous permet de voir des films en avance et d’en discuter avec les bénévoles des salles partenaires de Ciné Off. On voit ce qu’on peut y faire comme animations, les films qu’on peut mutualiser sur plusieurs salles…” Il arrive parfois que la programmation naisse d’un coup de coeur. Le dernier en date : L’innocent, de Louis Garrel. “C’est un film qu’on a vu aux Rencontres de l'Association Française des Cinémas Art et Essai (AFCAE)”, raconte Solenne. “Dès qu’on l’a vu, on s’est dit : les gens vont aimer ce film, c’est une comédie populaire… J’ai envie de défendre ce film, donc je vais le présenter aux bénévoles et en faire la promotion”. L’enthousiasme a visiblement été contagieux : L’Innocent sera projeté dans plusieurs salles pendant le mois de novembre.
“J’ai envie de défendre ce film”
Pour les salles où les projections sont moins fréquentes, comme à Saint-Cyr, Ciné Off propose une pré-sélection de deux ou trois films parmi lesquels l’association locale ou la municipalité choisit l’heureux élu.
“Ce qui m’importe dans la programmation”, résume la cinéphile, “c’est d’avoir un équilibre. On est labellisés Art et Essai et on veut le rester, donc il faut garder l’équilibre entre les films Art et Essai, et les films de divertissement plus grand public”.
“Ce qui m’importe, c’est d’avoir un équilibre”
Dans certains cas, le choix de programmation lui-même devient un outil d’éducation populaire. C’est le cas pour certaines projections en plein-air réalisées en période estivale. “Lorsque ces projections sont organisées avec des équipements sociaux, ça se fait dans une logique d’animation”, indique Solenne. “Donc les réflexions sur le choix du film se font lors de temps d’échanges : les équipes de Ciné Off viennent à la rencontre des habitants, proposent un catalogue, et c’est le comité de sélection des habitants qui choisit”. Cet été, dans l’Espace de Vie Sociale de Rochepinard à Tours, c’est LeVoyage de Chiiro qui a été retenu. Et selon Yoann, directeur général de la fédération 37 de la Ligue de l’enseignement, la soirée a été un immense succès. “Pour une fois, on a réussi à projeter un film qui a attiré au-delà des habitants du quartier”, se félicite-t-il. “Pour moi, c’est tout l’enjeu : la mixité sociale permise par le choix du film. Le Voyage de Chiiro, ça a accroché. Il fallait travailler le choix de ce film avec les jeunes, sans leur forcer la main”. Un fin travail accompli par les équipes de Ciné Off.
L’âge d’or du cinéma itinérant
En 40 ans d’existence, Ciné Off a assisté - et a contribué - à la reconnaissance des circuits de cinéma itinérant au niveau national. Pour Solenne et Olivier, c’est à l’ANCI (Association Nationale des Cinémas Itinérants) que l’on doit cette visibilisation grandissante. “Ils ont fait un gros travail de défrichage à l’époque”, reconnait Solenne. “Ils ont fait beaucoup pour que les cinémas itinérants soient équipés avec du matériel mobile”. Une observation partagée par Olivier : “sans cette fédération, beaucoup de cinémas itinérants seraient passés à la trappe. Ils n’auraient pas eu les moyens de se faire entendre par les institutions et de se faire aider”.
Depuis quelques années, les deux salariés de Ciné Off constatent une différence dans la façon dont leur association est considérée par les structures publiques. “On est mieux reconnus par le CNC, par les régions, les DRAC*…” observe Solenne. Une identification qui a des conséquences concrètes, d’après elle : “dans l’Association Française des Cinémas d’Art et Essai, j’ai la chance de représenter la Région Centre pour le jeune public. Ça n’aurait peut être pas été le cas il y a plusieurs années. Parce qu’aujourd’hui, il y a une reconnaissance du circuit itinérant.”
“Aujourd’hui, il y a une reconnaissance du circuit itinérant”
Au niveau du département, Ciné Off jouit également d’une grande popularité, auprès des institutions certes ; mais surtout des habitants. Et cette proximité fait toute la force de l’association, comme le relève Solenne : “on a un fort relai sur les territoires avec les bénévoles”. Et pour cause : sur beaucoup des 45 communes partenaires, Ciné Off peut aujourd’hui compter sur un solide réseau d’associations locales constituées pour définir la programmation, gérer l’accueil ou la billetterie, ou encore assurer un service de buvette après la séance. Cette implantation associative sur les territoires fait vivre le bouche-à-oreilles et permet donc d’atteindre les publics éloignés de l’offre culturelle, en conformité avec les missions de l’association.
En moyenne, les séances organisées par Ciné Off comptent 26 spectateurs, soit 2,5 fois plus que la moyenne nationale des cinémas. Et même si l’association souffre encore des conséquences du COVID, ses membres sont confiants. En continuant à proposer des films de qualité au plus près des habitants, Ciné Off diffusera son amour du cinéma de plus en plus largement en Indre-Et Loire. Solenne en est convaincue : “il faudra du temps pour que les gens reviennent. Mais on est optimistes”.
*CCAS = Centre Communal d’Action Sociale
*DRAC = Direction Régionale des Affaires Culturelles
Image : Julien Borel / Journaliste : Apolline Tarbé