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Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé
Voilà quelques semaines que l’Avant-scène a ouvert ses portes en plein centre-ville de Laval (Mayenne). Ancien foyer socio-culturel rattaché à la Ligue de l’enseignement, la salle a fait peau neuve pour devenir un cinéma associatif ouvert sur tous les arts du spectacle. Une formule originale qui rassemble petit à petit les habitants cinéphiles, les associations locales, les écoles… autour d’un même projet d’art et de vivre-ensemble. Reportage.
Mardi 28 novembre, 8h30. Trois classes de Terminale du lycée Ambroise Paré (Laval) se retrouvent à l’Avant-scène pour regarder After Yang, un film de Science Fiction réalisé par Kogonada. Sur scène, Louis leur présente le film en quelques minutes. Il est salarié de l’association Atmosphère 53, qui promeut le cinéma dans tout le département. « C’est un très beau film indépendant américain, qui s’éloigne sûrement de ce que vous avez l’habitude de voir » prévient-il. « Il aborde plein de thématiques très actuelles : les liens familiaux, le deuil, l’isolement provoqué à cause des technologies ou des réseaux sociaux… ». Louis s’éclipse en souhaitant à la salle une bonne séance. Les lumières s’éteignent, le son surgit, le film commence : la journée de l’Avant-scène a commencé.
« Offrir autre chose » via la programmation
En sortant de la séance, certains élèves sont décontenancés. « It’s not my cup of tea », blaguent-ils avec leur accompagnatrice et prof d’anglais Anne-Marie Bourgeais. Un retour qu’elle considère tout de même positif : « l’intérêt, c’est de les emmener voir des films qu’ils n’iraient jamais voir ». Elle-même cinéphile, Anne-Marie juge essentiel de confronter ses étudiants à des oeuvres plus expérimentales. « Vu la taille de Laval, je ne comprenais pas qu’il n’y ait pas de cinéma d’art et essai. Aujourd’hui, je suis très contente de dire aux élèves qu’ils ont accès à cette salle. Mon rôle de prof, c’est de les exposer à autre chose que ce qu’on leur propose habituellement ou ce qu’ils vont chercher sur les réseaux, parce que c’est indispensable de les ouvrir à d’autres mondes. Derrière le cinéma d’art et essai, il y a une démarche de réflexion différente, des metteurs en scène indépendants, et souvent des films en version originale ».
« c’est indispensable d’ouvrir les élèves à d’autres mondes »
À la tête du projet et de la programmation de l’Avant-scène, Karen Raymond ne peut qu’abonder. Mordue de cinéma depuis son plus jeune âge, elle est ravie de pouvoir enfin diversifier l’offre cinématographique de la ville. « Ça fait des dizaines d’années que des films n’ont pas trouvé d’écran à Laval. Il fallait aller à Rennes, au Mans, à Angers ou à Nantes pour voir autre chose. On a quand même entre 12 et 20 films qui sortent par semaine à l’Avant-scène et qui ne seraient jamais sortis à Laval si nous n’avions pas été là. C’est important ».
L’Avant-scène projette 28 séances par semaine, à savoir 13 à 15 films sur les 30 sorties nationales hebdomadaires. La programmation représente donc un dilemme permanent : il faut faire les bons choix. « C’est ça le plus dur dans notre travail », estime Karen. Les critères sont nombreux. « En tant que Ligue de l’enseignement, on veut que notre programmation soit accessible. Il faut donc trouver l’équilibre entre les films en langue française et langues étrangères. On veut aussi répondre aux envies des spectateurs, avec des films historiques ou politiques qui plaisent beaucoup. Mais parfois, il faut aller au delà de la presse et des médias pour proposer des films qui nous semblent importants pour les spectateurs », explique-t-elle. « Là, on ne répond pas à une demande, mais on propose quelque chose ». Ce travail méticuleux est effectué en équipe : un programmateur professionnel, les salariés, les bénévoles et même les spectateurs ont leur mot à dire ; tout en gardant en tête les mots d’ordre de l’Avant-scène : le pluralisme et l’accessibilité.
Aller au-delà des films et faire société
Fidèle à la philosophie de l’éducation populaire, la Ligue de l’enseignement de Mayenne voit en ce projet une multitude de leviers pour vivre et faire ensemble. La programmation n’est pas une fin en soi mais plutôt un prétexte pour engager la réflexion individuelle et collective des spectateurs. « On veut partir du cinéma, mais pour aller au-delà de l’objet du film », précise Karen. « C’est un moyen de se réunir et de faire société ».
« C’est un moyen de se réunir et de faire société »
Concrètement, l’équipe profite de sorties nationales ou de thématiques d’actualité pour projeter des films liés à ces sujets, et créer des espaces de débat autour des séances. « Dans le cadre de la journée internationale des prisons, on a travaillé sur les aménagements de peine avec le film Extramuros, une peine sans murs de Catherine Rechard », illustre Karen. Elle poursuit : « on profite en ce moment du festival Alimenterre pour proposer des films et se poser des questions liées à l’alimentation. Comment va-t-on nourrir la planète ? Comment mieux cultiver et tout simplement retrouver le goût d’une carotte, d’un navet ? » Des interrogations pragmatiques qui mènent bien vite les spectateurs à des débats plus profonds : « Qu’est-ce que demain ? Quel futur voulons-nous ? »
Pour organiser ces événements, la Ligue s’appuie sur sa connaissance du territoire et sur le maillage associatif local. « On construit cette programmation en fonction de ce qu’on connait du terrain », raconte Karen. À titre d’exemple, dans un département aussi rural que la Mayenne, les sujets de transition agricole sont particulièrement importants aux yeux des citoyens. Et la thématique est naturellement prise d’assaut par de nombreuses associations, qui ne demandent qu’à profiter de l’Avant-scène pour faire vivre ces sujets. Un cercle vertueux d’après Karen, pour qui ces partenariats locaux constituent l’ADN du projet : « nos films sont toujours accompagnés par des associations, des réalisateurs, des citoyens et citoyennes qui s’engagent localement. L’Avant-scène, c’est aussi la mise en lumière de ces associations ».
Un lieu qui rassemble
Au fil de la journée, les Lavalois défilent pour acheter leur ticket. Après la séance, certains restent quelques minutes pour discuter et partager leur ressenti sur le film avec Éliora, Lenny, ou Karen, à l’accueil. Des moments qui ont toute leur importance pour cette dernière : « pour l’instant, nous n’avons pas de système de vente à distance. Il faut venir se rencontrer pour avoir son billet. Et l’idée, c’est de pouvoir échanger quand les gens sont là. C’est ça aussi, ce lieu : un cinéma où tu peux venir en avance et tu ne pars pas avant la fin du générique ». Dans quelques semaines, l’ouverture d’un bar associatif tenu par des bénévoles invitera d’autant plus les spectateurs à passer un moment convivial au cinéma, avant ou après leur séance.
Il est 22h30 et la projection du documentaire Bienveillance Paysanne se termine, en présence de son réalisateur Oliver Dickinson. Après une demi-heure d’échange autour des pratiques d’élevage, les spectateurs quittent la salle au compte-goutte. Malgré l’heure, une dizaine d’entre eux s’attardent encore pour prolonger la discussion autour d’un verre. On poursuit le débat, on s’enquiert de la programmation à venir, on se partage de vieux souvenirs de cinéma… Bref, c'est une fin de journée comme une autre à l’Avant-scène.
Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé